Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/27

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après tout, si l’on conspire contre moi, pourquoi ne tiendrais-je pas dans ma main les fils de la conspiration ?

Gilbert avait fait quatre pas vers la porte, et la main posée sur la serrure, il attendait un dernier mot qui le chassât tout à fait ou qui le rappelât.

— Assez sur ce sujet, mon fils, dit Rousseau. Si vous êtes amoureux au point que vous le dites, hélas ! tant pis pour vous. Mais voilà qu’il se fait tard, vous avez perdu la journée d’hier, nous avons trente pages de copie à faire aujourd’hui entre nous deux. Alerte, Gilbert, alerte !

Gilbert saisit la main du philosophe et l’appuya contre ses lèvres ; il n’en eût certes pas tant fait de la main d’un roi.

Mais avant de sortir, et tandis que Gilbert tout ému se tenait contre la porte, Rousseau s’approcha une dernière fois de la fenêtre, et regarda les deux jeunes filles.

En ce moment, Andrée justement venait de laisser tomber son peignoir, et prenait une robe des mains de Nicole.

Elle vit cette tête pâle, ce corps immobile, fit un brusque mouvement en arrière, et ordonna à Nicole de fermer la fenêtre.

Nicole obéit.

— Allons, dit Rousseau, ma vieille tête lui a fait peur ; cette jeune figure ne l’effrayait pas tantôt. Oh ! belle jeunesse, ajouta-t-il en soupirant :

O quiventù primavera del età !
O primavera gioventù del anno ! [1]
Ô printemps, jeunesse de l’année !

Et rattachant au clou la robe de Thérèse, il descendit mélancoliquement l’escalier sur les pas de Gilbert, contre la jeunesse duquel il eût peut-être échangé en ce moment cette réputation qui balançait celle de Voltaire et partageait avec elle l’admiration du monde entier.

  1. Ô jeunesse, printemps de la vie !