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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/26

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— Mademoiselle Andrée, monsieur, est la fille du baron de Taverney ; c’est, oh ! excusez-moi de vous dire de telles choses, mais c’est vous qui m’y forcez ; c’est celle que j’aime plus que vous n’avez aimé mademoiselle Galley, madame de Warens, ni personne ; c’est celle que j’ai suivie à pied, sans argent, sans pain, jusqu’à ce que je tombasse sur la route écrasé de fatigue et brisé de douleur ; c’est celle que j’ai été revoir hier à Saint-Denis, derrière laquelle j’ai couru jusqu’à La Muette, que j’ai de nouveau accompagnée sans qu’elle me vît de La Muette à la rue voisine de la vôtre ; c’est celle que par hasard j’ai retrouvée ce matin habitant ce pavillon ; c’est celle, enfin, pour laquelle je voudrais devenir ou Turenne, ou Richelieu, ou Rousseau !

Rousseau connaissait le cœur humain et savait le diapason de ses cris ; il savait que le meilleur comédien ne pouvait avoir cet accent trempé de larmes avec lequel Gilbert parlait, et ce geste fiévreux avec lequel il accompagnait ses paroles.

— Ainsi, dit-il, cette jeune dame, c’est mademoiselle Andrée ?

— Oui, monsieur Rousseau.

— Donc vous la connaissez ?

— Je suis le fils de sa nourrice.

— Alors, vous mentiez donc tout à l’heure, quand vous disiez que vous ne la connaissiez pas, et, si vous n’êtes pas un traître, vous êtes un menteur ?

— Monsieur, dit Gilbert, vous me déchirez le cœur, et, en vérité, vous me feriez moins de mal en me tuant à cette place.

— Bah ! phraséologie, style de Diderot et de Marmontel ; vous êtes un menteur, monsieur.

— Eh bien ! oui, oui, oui, dit Gilbert, je suis un menteur, monsieur, et tant pis pour vous si vous ne comprenez pas un pareil mensonge. Un menteur ! un menteur !… Ah ! je pars… adieu ! Je pars désespéré, et vous aurez mon désespoir sur la conscience.

Rousseau se caressait le menton en regardant ce jeune homme qui avait avec lui-même de si frappantes analogies.

— Voilà un grand cœur ou un grand fourbe, dit-il ; mais,