Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vivaient huit siècles ! Ils ne l’ont pas trouvé, ce mieux, ce bien, cette perfection : car s’ils l’eussent trouvé, ce monde décrépit, ce monde serait frais, vierge et rose comme l’aube matinale. Au lieu de cela, la souffrance, le cadavre, le fumier. Est-ce doux, la souffrance ? Est-ce beau, le cadavre ? Est-ce désirable, le fumier ?

— Eh bien, dit Balsamo répondant au vieillard, qu’une petite toux sèche venait d’interrompre ; eh bien, vous dites que personne n’a trouvé encore cet élixir de vie. Je vous dis, moi, que personne ne le trouvera. Confessez Dieu.

— Niais ! personne n’a trouvé tel secret ; donc, personne ne le trouvera. À ce compte, il n’y aurait jamais eu de découvertes. Or, crois-tu que les découvertes soient des choses nouvelles qu’on invente ? Non, ce sont des choses oubliées qu’on retrouve. Et pourquoi les choses une fois trouvées s’oublient-elles ? Parce que la vie est trop courte pour que l’inventeur puisse tirer de son invention toutes les déductions qu’elle enferme. Vingt fois, cet élixir de vie, on a failli le trouver. Crois-tu que le Styx soit une imagination d’Homère ? Crois-tu que cet Achille presque immortel, puisqu’il n’est vulnérable qu’au talon, soit une fable ? Non. Achille était l’élève de Chiron comme tu es le mien. Chiron veut dire supérieur ou pire. Chiron était un savant qu’on représente sous la forme d’un centaure, parce que sa science avait doué l’homme de la force et de la légèreté du cheval. Eh bien ! il avait à peu près trouvé l’élixir d’immortalité, lui aussi. Il ne lui manquait peut-être à lui aussi, comme à moi, que ces trois gouttes de sang que tu me refuses. Ces trois gouttes de sang absentes ont rendu Achille vulnérable au talon ; la mort a trouvé un passage, elle est entrée. Oui, je le répète, Chiron, l’homme universel, l’homme supérieur, l’homme pire, n’est qu’un autre Althotas empêché par un autre Acharat de compléter l’œuvre qui eût sauvé l’humanité tout entière, en l’arrachant à l’effet de la malédiction divine. Eh bien ! qu’as-tu à dire à cela ?

— Je dis, répondit Balsamo, visiblement ébranlé, je dis que j’ai mon œuvre et que vous avez la vôtre. Accomplissons-la,