Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/140

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« Les parlements usent du seul droit qu’ils aient, l’inertie : les voilà qui cessent de fonctionner. Dans un corps bien organisé, comme doit être un État de premier ordre, la paralysie d’un organe essentiel est mortelle ; or, le parlement est au corps social ce que l’estomac est au corps humain, les parlements n’opérant plus, le peuple, ces entrailles de l’État, ne travaillera, et par conséquent ne paiera plus ; et l’or, c’est-à-dire le sang, leur fera défaut.

« On voudra lutter, sans doute ; mais qui luttera contre le peuple ? Ce n’est point l’armée, cette fille du peuple, qui mange le pain du laboureur, qui boit le vin du vigneron. Resteront la maison du roi, les corps privilégiés, les gardes, les Suisses, les mousquetaires, cinq ou six mille hommes à peine ! Que fera cette poignée de pygmées, quand le peuple se lèvera comme un géant ?

— Qu’il se lève, alors, qu’il se lève ! crièrent plusieurs voix.

— Oui, oui, à l’œuvre ! cria Marat.

— Jeune homme, je ne vous ai pas encore consulté, dit froidement Balsamo.

« Cette sédition des masses, continua-t-il, cette révolte des faibles devenus forts par leur nombre contre le puissant isolé, des esprits moins solides, moins sûrs, moins expérimentés, la provoqueraient sur-le-champ et l’obtiendraient même avec une facilité qui m’épouvante ; mais, moi, j’ai réfléchi ; moi, j’ai étudié. — Moi, j’ai descendu dans le peuple même, et, sous ses habits, avec sa persévérance, avec sa grossièreté que j’empruntais, je l’ai vu de si près, que je me suis fait peuple. Je le connais donc aujourd’hui. Je ne me tromperai donc plus sur son compte. Il est fort, mais il est ignorant ; il est irritable, mais il est sans rancune ; en un mot, il n’est pas mûr encore pour la sédition telle que je l’entends et telle que je la veux. il lui manque l’instruction qui lui fait voir les événements sous le double jour de l’exemple et de l’utilité ; il lui manque la mémoire de sa propre expérience.

« Il ressemble à ces hardis jeunes gens que j’ai vu en Allemagne, dans les fêtes publiques, monter ardemment au sommet