Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/145

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transmission du trône autorisée depuis des siècles par Dieu et par les peuples, s’en va, perdue pour jamais ! Écoutez ! écoutez ! cette invincible, cette infranchissable barrière placée entre nous, gens de rien, et ces créatures quasi divines, cette limite que les peuples n’ont jamais osé franchir et qu’on appelle la légitimité, ce mot brillant comme un phare, et qui jusqu’aujourd’hui a garanti la royauté du naufrage, ce mot va s’éteindre sous le souffle de la mystérieuse fatalité.

« La dauphine, appelée en France pour perpétuer la race des rois par le mélange du sang impérial, la dauphine, mariée depuis un an à l’héritier du trône de France… Approchez-vous, messieurs, car je crains de faire passer au delà de votre cercle le bruit de mes paroles.

— Eh bien ? demandèrent avec anxiété les six chefs.

— Eh bien, messieurs, la dauphine est encore vierge !

Un murmure sinistre qui eût fait fuir tous les rois du monde, tant il renfermait de joie haineuse et de triomphe vengeur, s’échappa comme une vapeur mortelle de ce cercle étroit des six têtes, qui se touchaient presque, dominées qu’elles étaient par celle de Balsamo, penché sur elle du haut de son estrade.

— Dans cet état de choses, continua Balsamo, il se présente deux hypothèses, toutes deux également profitables à notre cause.

« La première, c’est que la dauphine reste stérile, et alors la race s’éteint, alors l’avenir ne laisse à nos amis ni combats, ni difficultés, ni troubles. Il en arrivera de cette race marquée d’avance par la mort, ce qui est arrivé en France à chaque fois que trois rois se sont succédé ; ce qui est arrivé aux fils de Philippe le Bel : Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles VI, morts sans postérité, après avoir régné tous trois ; ce qui est arrivé aux trois fils de Henri II : François II, Charles IX et Henri III, morts sans postérité après avoir régné tous trois. Comme eux, M. le dauphin, M. le compte de Provence et M. le comte d’Artois régneront tous trois et tous trois mourront sans enfants, comme les autres sont morts : c’est la loi de la destinée.