Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/147

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« Sur ce, messieurs et frères bien-aimés, je lèverais la séance, s’il ne me restait un bien à faire, un mal à indiquer.

« Le grand écrivain qui est venu à nous ce soir, et qui eût été des nôtres sans le zèle intempestif d’un de nos frères, qui a effrayé cette âme timide ; ce grand écrivain, disons-nous, a eu raison de notre assemblée, et je déplore comme un malheur, qu’un étranger ait raison devant une majorité de frères qui connaissent mal nos règlements et ne connaissent pas du tout notre but.

« Rousseau, triomphant avec les sophismes de ses livres des vérités de notre association, représente un vice fondamental que j’extirperais avec le fer et le feu, si je n’avais encore l’espoir de le guérir par la persuasion. L’amour-propre d’un de nos frères s’est développé fâcheusement. Il nous a donné du dessous dans la discussion ; aucun fait pareil ne se représentera plus, je l’espère, ou bien j’aurais recours aux voies de discipline.

« Maintenant, messieurs, propagez la foi par la douceur et la persuasion ; insinuez-la, ne l’imposez pas, ne l’enfoncez pas dans les âmes rebelles à coups de maillet et de hache, comme font les inquisiteurs des coins du bourreau. Souvenez-vous que nous ne serons grands qu’après avoir été reconnus bons, et qu’on ne nous reconnaîtra bons qu’en paraissant meilleurs que tout ce qui nous entoure ; rappelez-vous encore que parmi nous, les bons et les meilleurs ne sont rien sans la science, l’art et la foi ; rien enfin près de ceux que Dieu a marqués d’un sceau particulier pour commander aux hommes et régir un empire.

« Messieurs, la séance est levée. »

Ces paroles prononcées, Balsamo se couvrit la tête et s’enveloppa de son manteau.

Chacun des initiés partit alors à son tour, seul et silencieux, pour ne pas éveiller de soupçons.