Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/189

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— Je ne vois pas, monsieur, répliqua froidement monsieur de Coigny, en quoi les risées et les propos de la sotte espèce qui vous persécute troubleraient le sommeil d’un galant homme et d’un écrivain qui peut passer pour le premier du royaume. Si vous avez cette faiblesse, monsieur Rousseau, cachez-la bien ; elle seule prêterait à rire à bien des gens. Quant à ce qu’on dira, vous m’avouerez qu’il faut qu’on y prenne garde, dès qu’il s’agit du plaisir et du désir d’une personne telle que Son Altesse Royale madame la dauphine, héritière présomptive de ce royaume de France.

— Certainement, dit Rousseau, certainement.

— Serait-ce, dit monsieur de Coigny en souriant, un reste de fausse honte ?… Parce que vous avez été sévère pour les rois, craindriez-vous de vous humaniser ? Ah ! monsieur Rousseau, vous avez donné des leçons au genre humain, mais vous ne le haïssez pas, j’espère ?… Et, d’ailleurs, vous en excepterez des dames qui sont du sang impérial.

— Monsieur, vous me pressez avec beaucoup de grâce ; mais réfléchissez à ma position… je vis retiré, seul…, malheureux.

Thérèse fit une grimace.

— Tiens, malheureux…, dit-elle ; il est difficile.

— Il en restera toujours, quoi que je fasse, sur mon visage et dans mes manières, une trace désagréable pour les yeux du roi et des princesses, qui ne cherchent que la joie et le contentement. Que dirais-je là ?… que ferais-je ?…

— On dirait que vous doutez de vous ; mais celui qui a écrit La Nouvelle Héloïse et Les Confessions, celui-là, Monsieur, n’a-t-il donc pas plus d’esprit pour parler, pour agir, que nous autres tous tant que nous sommes ?

— Je vous assure, monsieur, qu’il m’est impossible…

— Ce mot-là, monsieur, n’est pas connu chez les princes.

— Voilà pourquoi, monsieur, je resterai chez moi.

— Monsieur, vous ne me ferez pas à moi, messager téméraire qui me suis chargé de donner satisfaction à madame la dauphine, vous ne me ferez pas cette mortelle peine de m’obliger de retourner à Versailles, honteux, vaincu ; ce serait