— Mais, mon cher Rafté, tu vois que, moi, je ne dors pas.
— C’est autre chose, vous êtes ministre, vous… Comment dormiriez-vous ?
— Allons, voilà que tu vas me gronder, dit le maréchal en grimaçant devant la glace ; est-ce que tu n’es pas content ?
— Moi ! qu’est-ce que cela me fait ? Vous allez vous fatiguer beaucoup, et puis vous serez malade ; il en résultera que ce sera moi qui gouvernerai l’État, et ce n’est pas amusant, monseigneur.
— Oh ! comme tu as vieilli, Rafté.
— J’ai juste quatre ans de moins que vous, monseigneur. Oh ! oui, je suis vieux.
Le maréchal frappa du pied avec impatience.
— As-tu passé par l’antichambre ? dit-il.
— Oui.
— Qui est là ?
— Tout le monde.
— Que dit-on ?
— Chacun se raconte ce qu’il va vous demander.
— C’est bien naturel. Mais, de ma nomination, en as-tu entendu parler ?
— Oh ! j’aime autant ne pas vous dire ce qu’on en dit.
— Ouais !… déjà la critique ?
— Et parmi ceux qui ont besoin de vous. Que sera-ce, monseigneur, chez les gens dont vous aurez besoin !
— Ah ! par exemple, Rafté, dit le vieux maréchal en affectant de rire, ceux qui diraient que tu me flattes…
— Tenez, monseigneur, dit Rafté, pourquoi diable vous êtes-vous attelé à cette charrue qu’on appelle le ministère ? Vous êtes donc las d’être heureux et de vivre ?
— Mon cher, j’ai goûté de tout, excepté de cela.
— Corbleu ! Vous n’avez jamais goûté d’arsenic, que n’en avalez-vous dans votre chocolat, par curiosité ?
— Rafté, tu n’es qu’un paresseux ; tu devines que toi, mon secrétaire, tu vas avoir beaucoup de besogne, et tu recules… tu l’as dit, d’ailleurs.
Le maréchal se fit habiller avec soin.