Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/206

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— Bonjour, monsieur, lui dit-il de sa voix brève et pédante.

Rousseau, éperdu, s’inclina en murmurant :

— Je n’en sortirai pas !

— Ah ! je suis bien aise de vous trouver, monsieur, dit le prince du ton d’un précepteur qui cherchait et qui retrouve un écolier en faute.

— Encore des compliments absurdes ! pensa Rousseau. Que ces grands sont fades !

— J’ai lu votre traduction de Tacite, monsieur.

— Ah ! c’est vrai, se dit Rousseau ; celui-ci est un savant, un pédant.

— Savez-vous que c’est fort difficile à traduire, Tacite ?

— Mais, monseigneur, je l’ai écrit dans une petite préface.

— Oui, je le sais bien, je le sais bien ; vous y dites que vous ne savez que médiocrement le latin.

— Monseigneur, c’est bien vrai.

— Alors, pourquoi traduire Tacite, monsieur Rousseau ?

— Monseigneur, c’est un exercice de style.

— Ah ! monsieur Rousseau, vous avez eu tort de traduire imperatoria brevitate par un discours grave et concis.

Rousseau, inquiet, chercha dans sa mémoire.

— Oui, dit le jeune prince avec l’aplomb d’un vieux savant qui relève une faute dans Saumaise ; oui, vous avez traduit ainsi. C’est dans le paragraphe où Tacite raconte que Pison harangua ses soldats.

— Eh bien, monseigneur ?

— Eh bien, monsieur Rousseau, imperatoria brevitate signifie avec la concision d’un général… ou d’un homme habitué à commander. La concision du commandement… voilà l’expression, n’est-ce pas, monsieur de la Vauguyon ?

— Oui, monseigneur, répondit le gouverneur.

Rousseau ne répondit rien. Puis le prince ajouta :

— Cela est un bel et bon contresens, monsieur Rousseau… Oh ! je vous en trouverai encore un.

Rousseau pâlit.