Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/23

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Sa Majesté me parla de mes enfants, et finit par me dire : « Vous connaissez M. de Richelieu, je crois ; faites-lui vos compliments. »

— Ah ! Sa Majesté vous a dit cela ? répliqua Richelieu avec un orgueil étincelant, comme si ces paroles eussent été le brevet officiel dont Rafté suspectait l’envoi ou déplorait le retard.

— En sorte, continua Tavemey, que je me suis bien douté de la vérité ; ce n’était pas difficile, à voir l’empressement de tout Versailles, et je suis accouru pour obéir au roi en te faisant mes compliments, et pour obéir à mon sentiment particulier en te recommandant notre ancienne amitié.

Le duc en était arrivé à l’enivrement : c’est un défaut de nature, les meilleurs esprits ne peuvent pas toujours s’en préserver. Il ne vit dans Taverney qu’un de ces solliciteurs du dernier ordre, pauvres gens attardés sur le chemin de la faveur, inutiles même à protéger, inutiles surtout dans leur connaissance, et auxquels on fait le reproche de ressusciter de leurs ténèbres, après vingt ans, pour venir se réchauffer au soleil de la prospérité d’autrui.

— Je vois ce que c’est, dit le maréchal assez durement, on vient me demander quelque chose.

— Eh bien ! tu l’as dit, duc.

— Ah ! fit Richelieu en s’asseyant, ou plutôt en s’enfonçant dans un sofa.

— Je te disais que j’ai deux enfants, continua Taverney, souple et rusé, car il s’apercevait du refroidissement de son grand ami et ne s’en rapprochait que plus activement. J’ai une fille que j’aime beaucoup, et qui est un modèle de vertus et de beauté. Celle-là est placée chez madame la dauphine, qui a bien voulu la prendre dans une estime particulière. De celle-là, de ma belle Andrée, je ne t’en parle pas, duc ; son chemin est fait, sa fortune est en bon train. L’as-tu vue, ma fille ? ne te l’ai-je pas présentée quelque part ? n’en as-tu pas entendu parler ?

— Peuh !… je ne sais, fit négligemment Richelieu ; peut-être.