Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/245

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étonnement. Aussi crut-il un instant que son récit avait été irrésistible comme la vérité, comme l’amour. Mais le pauvre Gilbert comptait sans l’incrédulité, cette mauvaise foi de la haine. Or, Andrée, qui haïssait Gilbert, ne s’était laissé prendre à aucun des arguments vainqueurs de cet amant dédaigné.

D’abord, elle ne répondit rien, elle regardait Gilbert, et quelque chose comme un combat se passait dans son esprit.

Aussi, mal à l’aise dans ce silence glacé, le jeune homme se vit-il obligé d’ajouter en manière de péroraison :

— Maintenant, mademoiselle, ne me détestez donc plus autant que vous le faisiez, car ce serait non seulement de l’injustice, mais encore de l’ingratitude, ainsi que je vous le disais tout à l’heure et que je vous le répète maintenant.

Mais, à ces mots, Andrée leva sa tête altière, et du ton le plus indifféremment cruel :

— Monsieur Gilbert, dit-elle, combien de temps, s’il vous plaît, êtes-vous resté en apprentissage chez M. Rousseau ?

— Mademoiselle, dit naïvement Gilbert, trois mois, je crois, sans compter les jours de ma maladie, suite de l’étouffement du 31 mai.

— Vous vous méprenez, dit-elle, je ne vous demande point de me dire si vous avez été ou non malade… d’étouffements… cela couronne artistement peut-être votre récit… mais il m’importe peu. Je voulais seulement vous dire, n’ayant séjourné que trois mois chez l’illustre écrivain, que vous en avez fort bien profité, et que l’élève fait du premier coup des romans presque dignes de ceux que publie son maître.

Gilbert, qui avait écouté avec tranquillité, croyant qu’Andrée allait, aux choses passionnées qu’il avait dites, répondre des choses sérieuses, tomba de toute la hauteur de sa bonhomie sous le coup de cette ironie sanglante.

— Un roman ! murmura-t-il indigné, vous traitez de roman ce que je viens de vous dire !

— Oui, monsieur, dit Andrée, un roman, je répète le mot ; seulement, vous ne m’avez pas forcée de le lire et je vous en sais gré ; mais, malheureusement, j’ai le profond regret de ne