Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/33

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— Vous êtes un homme incomparable ; je vous quitte et je disparais, pour savoir un peu ce qu’on dit en ville.

— Adieu donc, vicomte… À propos, vous ne m’avez pas dit le nouveau ministère.

— Oh ! des oiseaux de passage : Terray, Bertin, je ne sais plus qui… La monnaie de d’Aiguillon, enfin, du vrai ministre ajourné.

— Qui l’est peut-être indéfiniment, pensa le maréchal, en envoyant à Jean son plus gracieux sourire, comme caresse d’adieu.

Jean parti, Rafté rentra. Il avait tout entendu et savait à quoi s’en tenir ; tous ses soupçons venaient de se réaliser. Il ne dit pas un mot à son maître, il le connaissait trop bien.

Il n’appela même pas de valet de chambre, il le déshabilla lui-même et le conduisit à son lit, dans lequel le vieux maréchal s’enfonça aussitôt, en grelottant la fièvre, après avoir pris une pilule que son secrétaire lui fit avaler.

Rafté ferma les rideaux et sortit. L’antichambre était pleine de valets déjà empressés, déjà aux écoutes. Rafté prit le premier valet de chambre par le bras :

— Soigne bien M. le maréchal, dit-il ; il souffre. Il a eu ce matin une vive contrariété ; il a dû désobéir au roi…

— Désobéir au roi ? s’écria le valet de chambre épouvanté.

— Oui, Sa Majesté envoyait un portefeuille à monseigneur ; le maréchal a su que cela se faisait par l’entremise de la du Barry, et il a refusé ! Oh ! c’est superbe, et les Parisiens lui doivent un arc de triomphe ! Mais le choc était rude, et notre maître est malade ; soigne-le bien !

Rafté, après ces quelques mots dont il connaissait d’avance la portée circulative, regagna son cabinet.

Un quart d’heure après, tout Versailles connaissait la noble conduite et le patriotisme généreux du maréchal, qui dormait d’un profond sommeil sur la popularité que venait de lui bâtir son secrétaire.