Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/38

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Là, en effet, il la vit encore s’avancer pensive et presque humiliée, ses beaux yeux baissés, sa main moite et inerte doucement balancée sur sa robe frissonnante ; il l’entendit, caché derrière l’épaisse charmille, soupirer deux fois, comme si elle se parlait à elle-même. Enfin, elle passa si près des arbres, que Gilbert eût pu en allongeant le bras effleurer celui d’Andrée, comme une fièvre insensée, vertigineuse, lui conseillait de le faire.

Mais il fronça le sourcil avec un mouvement de volonté pareil à de la haine, et, posant une main crispée sur son cœur :

— Encore lâche ! se dit-il.

Puis il ajouta tout bas :

— C’est qu’elle est si belle.

Gilbert fût peut-être resté longtemps dans sa contemplation, car l’allée était longue et le pas d’Andrée fort lent et fort mesuré ; mais cette allée avait des contre-allées d’où pouvait déboucher un fâcheux, et le hasard traita si mal Gilbert qu’un fâcheux déboucha effectivement de la première allée latérale à gauche, c’est-à-dire presqu’en face du massif d’arbres verts où Gilbert se tenait caché.

Cet importun marchait d’un pas méthodique et mesuré ; il portait haut la tête, tenait son chapeau sous le bras droit et la main gauche sur l’épée. Il portait un habit de velours sous une pelisse doublée de martre zibeline, et tendait en marchant la jambe, qu’il avait belle, et le cou-de-pied, qu’il avait haut comme un homme de race.

Ce seigneur, tout en s’avançant, aperçut Andrée, et la tournure de la jeune fille lui parut sans doute agréable, car il doubla le pas en coupant obliquement, de façon à se trouver sur la ligne que suivait Andréa et à la croiser le plus tôt possible.

Gilbert ayant vu ce personnage, poussa involontairement un petit cri et s’enfuit, comme un merle effarouché, sous les sumacs.

La manœuvre du fâcheux lui réussit ; il en avait sans doute l’habitude, et, avant trois minutes, il se trouva précéder Andrée