Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/72

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mais avec colère, mais en se mordant les doigts de rage.

— Que m’importe à présent, se disait-il, ma sotte découverte dont j’étais si fier !… Que Nicole ait eu là-bas un amant, le mal est fait, et on ne la renverra pas pour cela ici ; tandis qu’elle, si elle dit ce que j’ai fait rue Coq-Héron, peut me faire chasser de Trianon… Ce n’est pas moi qui tiens Nicole, c’est Nicole qui me tient. Ô rage !

Et tout l’amour-propre de Gilbert servant de stimulant à sa haine, fit bouillonner son sang avec une violence inouïe.

II lui sembla qu’en entrant dans cette chambre, Nicole venait d’en faire envoler avec un diabolique sourire tous les heureux songes que Gilbert, de sa mansarde, y envoyait chaque jour avec ses vœux, avec son ardent amour et avec ses fleurs. Gilbert avait trop à penser pour s’être occupé jusque-là de Nicole ; ou bien avait-il éloigné cette pensée par la terreur qu’elle lui inspirait ? Voilà ce que nous ne déciderons pas. Mais, ce que nous pouvons affirmer avec certitude, c’est que la vue de Nicole fut pour lui une surprise essentiellement désagréable.

Il sentait bien que la guerre se déclarerait tôt ou tard entre Nicole et lui ; mais, comme Gilbert était un homme prudent et politique, il ne voulait pas que cette guerre commençât avant qu’il ne fût en mesure de la faire énergique et bonne.

Il résolut donc de contrefaire le mort jusqu’à ce que le hasard lui eût donné une occasion favorable de ressusciter, ou jusqu’à ce que Nicole, par faiblesse ou par besoin, risquât à son endroit une démarche qui lui fît perdre de ses avantages.

C’est pourquoi, tout yeux, tout oreilles pour Andrée, mais circonspect, mais vigilant sans trêve, il continua de se tenir au courant des affaires intérieures de la première chambre du corridor, sans qu’une seule fois Nicole eût pu le rencontrer dans les jardins.

Malheureusement pour Nicole, elle n’était pas irréprochable, et l’eût-elle été pour le présent, il y avait toujours dans son passé quelque pierre d’achoppement sur laquelle on pouvait la faire chanceler.