Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/142

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fait aller, dit-il, le duc trahit. Qui le duc trahit-il ? je vous le demande : car moi je n’en sais rien, et je vous avoue que je tiens peu à le ravoir. M. de Taverney vit ainsi comme un damné dans le purgatoire, attendant toujours quelque chose qu’on n’apporte pas, quelqu’un qui ne vient jamais.

— Mais le roi, Andrée, le roi ?

— Comment, le roi ?

— Oui, le roi, si bien disposé pour nous.

Andrée regarda timidement autour d’elle.

— Quoi ?

— Écoutez ! Le roi — parlons bas — je crois le roi très capricieux, Philippe. Sa Majesté m’avait d’abord, comme vous savez, témoigné beaucoup d’intérêt, comme à vous, comme à notre père, comme à la famille ; mais tout à coup cet intérêt s’est refroidi, sans que je puisse deviner ni pourquoi ni comment. Le fait est que Sa Majesté ne me regarde plus, me tourne le dos même, et qu’hier encore, quand je me suis évanouie dans le parterre…

— Ah ! voyez-vous, Gilbert avait raison ; vous vous êtes donc évanouie, Andrée ?

— Ce misérable petit M. Gilbert avait en vérité bien besoin de vous dire cela, de le dire, à tout le monde, peut-être ! Que lui importe, que je m’évanouisse, oui ou non ? Je sais bien, cher Philippe, ajouta Andrée en riant, qu’il n’est pas convenable de s’évanouir dans une maison royale ; mais enfin, on ne s’évanouit pas par plaisir et je ne l’ai point fait exprès.

— Mais qui vous en blâme, chère sœur ?

— Eh ! mais, le roi.

— Le roi ?

— Oui ; Sa Majesté débouchait du grand Trianon par le verger, juste au moment fatal. J’étais toute sotte et toute stupide étendue sur un banc, dans les bras de ce bon M. de Jussieu qui me secourait de son mieux, lorsque le roi m’a aperçue. Vous le savez, Philippe, l’évanouissement n’ôte point toute perception, toute conscience de ce qui se passe autour de nous. Eh bien, lorsque le roi m’a aperçue, si insensible que je fusse en apparence, j’ai cru remarquer un froncement de sourcils,