Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/222

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— Un honnête homme, un honnête homme ! Quand vous avez dit cela, vous croyez avoir tout dit.

— J’ai dit beaucoup, au moins, répliqua Rousseau en souriant, car je ne le dis pas de tout le monde.

— C’est pas étonnant : vous êtes si maussade !

— Thérèse, nous nous éloignons de la question.

— Oui, vous voulez vos cerises, gourmand ; vous voulez vos fleurs, sybarite !

— Que voulez-vous, ma bonne ménagère, répliqua Rousseau avec une patience d’ange, j’ai le cœur et la tête si malades, que, ne pouvant sortir, je me récréerai, du moins, à voir un peu de ce que Dieu jette à pleines mains dans les campagnes.

En effet, Rousseau était pâle et engourdi, et ses mains paresseuses feuilletaient un livre que ses yeux ne lisaient pas.

Thérèse secoua la tête.

— C’est bon, c’est bon, dit-elle, je sors pour une heure ; souvenez-vous bien que je mets la clef sous le paillasson, et que si vous en avez besoin…

— Oh ! je ne sortirai pas, dit Rousseau.

— Je sais bien que vous ne sortirez pas, puisque vous ne pouvez pas tenir debout ; mais je vous dis cela pour que vous fassiez un peu attention aux gens qui peuvent venir et que vous ouvriez si l’on sonne ; car, si l’on sonne, vous serez sûr que ce n’est pas moi.

— Merci, bonne Thérèse, merci ; allez.

La gouvernante sortit en grommelant selon son habitude, et le bruit de son pas lourd et traînant se fit encore entendre longtemps dans l’escalier.

Mais aussitôt que la porte fut refermée, Rousseau profita de son isolement pour s’étendre avec délices sur sa chaise, regarda les oiseaux qui becquetaient sur la fenêtre un peu de mie de pain, et respira tout le soleil qui filtrait entre les cheminées des maisons voisines.

Sa pensée, jeune et rapide, n’eut pas plus tôt senti la liberté qu’elle ouvrit ses ailes comme faisaient ces passereaux après leurs joyeux repas.