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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/230

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tout homme sortant du sein de sa mère ? Écoute cependant combien ma situation est horrible : quand j’ai abandonné mes enfants, j’ai compris que la société, que toute supériorité blesse, allait me jeter cette injure à la face comme un reproche infamant ; alors je me suis justifié avec des paradoxes ; alors j’ai employé dix ans de ma vie à donner des conseils aux mères pour l’éducation de leurs enfants, moi qui n’avais pas su être père ; à la patrie pour la formation des citoyens forts et honnêtes, moi qui avais été faible et corrompu. Puis, un jour, le bourreau qui venge la société, la patrie et l’orphelin, le bourreau ne pouvant s’en prendre à moi, s’en est pris à mon livre, et l’a brûlé comme une honte vivante pour le pays dont ce livre avait empoisonné l’air. Choisis, devine, juge ; ai-je bien fait dans l’action ? ai-je fait mal dans les préceptes ? Tu ne réponds pas ; Dieu lui-même serait embarrassé ; Dieu, qui tient en ses mains l’inflexible balance du juste et de l’injuste. Eh bien, moi, j’ai un cœur qui résout la question, et ce cœur me dit là, au fond de ma poitrine : « Malheur à toi, père dénaturé, qui as abandonné tes enfants ; malheur à toi si tu rencontres la jeune prostituée qui rit impudemment le soir au coin d’un carrefour, car c’est peut-être ta fille abandonnée que la faim a poussée à l’infamie ; malheur à toi si tu rencontres dans la rue le voleur qu’on arrête, rouge encore de son larcin, car celui-là est peut-être ton fils abandonné, que la faim a poussé au crime ! »

À ces mots, Rousseau, qui s’était soulevé, retomba dans son fauteuil.

— Et, cependant, continua-t-il d’une voix brisée qui avait l’accent d’une prière, moi, je n’ai point été coupable autant qu’on pourrait le croire ; moi, j’ai vu une mère sans entrailles, de moitié dans ma complicité, oublier, comme font les animaux, et je me suis dit : « Dieu a permis que la mère oublie, c’est donc qu’elle doit oublier. « Eh bien, je me suis trompé à ce moment, et, aujourd’hui que tu m’as entendu dire à toi ce que je n’ai jamais dit à personne, aujourd’hui tu n’as plus le droit de t’abuser. »

— Ainsi, demanda le jeune homme en fronçant le sourcil,