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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/236

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elle ne sera aimée de personne ; mais elle m’a méprisé, moi qui avais des sentiments si respectueux pour elle ; elle m’a méprisé, moi qui déjà deux fois l’avais tenue entre mes bras, sans même oser approcher mes lèvres du bas de sa robe.

— C’est cela, et vous lui avez fait payer ce respect : vous vous êtes vengé de ses mépris, par quoi ? par un guet-apens.

— Oh ! non, non ; le guet-apens ne vient pas de moi ; une occasion de commettre le crime m’a été fournie.

— Par qui ?

— Par vous.

Balsamo se redressa comme si un serpent l’eût piqué.

— Par moi ? s’écria-t-il.

— Par vous, oui, monsieur, par vous, répéta Gilbert ; monsieur, vous avez endormi mademoiselle Andrée ; puis, vous vous êtes enfui ; à mesure que vous vous éloigniez, les jambes lui manquaient ; elle a fini par tomber. Je l’ai prise dans mes bras alors pour la reporter dans sa chambre ; un marbre fût devenu vivant !… moi, qui aimais, j’ai cédé à mon amour. Suis-je donc aussi criminel qu’on le dit, monsieur ? Je vous le demande à vous, à vous la cause de mon malheur.

Balsamo reporta sur Gilbert son regard chargé de tristesse et de pitié.

— Tu as raison, enfant, dit-il, c’est moi qui ai causé ton crime et l’infortune de cette jeune fille.

— Et au lieu d’y porter remède, vous qui êtes un homme si puissant et qui devriez être si bon, vous avez aggravé le malheur de la jeune fille, vous avez suspendu la mort sur la tête du coupable.

— C’est vrai, répliqua Balsamo, et tu parles sagement. Depuis quelque temps, vois-tu, jeune homme, je suis une créature maudite, et tous mes desseins, en sortant de mon cerveau, prennent des formes menaçantes et nuisibles ; cela tient à des malheurs que moi aussi j’ai subis, et que tu ne comprends pas. Toutefois, ce n’est point une raison pour que je fasse souffrir les autres : que demandes-tu ? Voyons.