Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/240

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bien modeste ; puis il indiqua, rue Sainte-Avoie, le financier dont Gilbert avait besoin.

Donc le billet était bon.

Gilbert, joyeux et tout gonflé de sa joie, rendit aussitôt les rênes à son imagination, serra plus précieusement que jamais la liasse dans son mouchoir, et avisant rue Sainte-Avoie un fripier, dont l’étalage le séduisit, il fit emplette pour vingt-cinq livres, c’est-à-dire pour un des deux louis que Balsamo lui avait donnés, d’un habit complet de petit drap marron, dont la propreté le charma, d’une paire de bas de soie noire un peu fanés et de souliers à boucles luisantes ; une chemise de toile assez fine compléta le costume, plus décent que riche, dans lequel Gilbert s’admira par un seul coup d’œil donné dans le miroir du fripier.

Puis, laissant ses vieilles hardes comme appoint des vingt-cinq livres, il serra le précieux mouchoir dans sa poche et passa de la boutique du fripier dans celle du perruquier, lequel, en un quart d’heure, acheva de rendre élégante, et même belle, cette tête si remarquable du protégé de Balsamo.

Enfin, lorsque toutes ces opérations furent accomplies, Gilbert entra chez un boulanger qui demeurait près de la place Louis XV, et acheta dans sa boutique pour deux sous de pain, qu’il mangea rapidement en suivant la route de Versailles.

À la fontaine de la Conférence, il s’arrêta pour boire.

Puis il reprit son chemin, refusant toujours les propositions des voiturins, qui ne comprenaient pas qu’un jeune homme si proprement mis économisât quinze sous aux dépens de son cirage à l’œuf.

Qu’eussent-ils dit s’ils eussent su que ce jeune homme, qui allait ainsi à pied, avait dans sa poche trois cent mille livres ?

Mais Gilbert avait ses raisons pour aller à pied. D’abord, à cause de la ferme résolution qu’il avait prise de ne pas excéder d’un liard le strict nécessaire ; ensuite, le besoin d’isolement pour se livrer plus commodément à la pantomime et aux monologues.

Dieu seul sait tout ce qu’il se joua de dénouements heureux