— C’est vrai.
— Mais je veux avoir dans ma poche un moyen de quitter la France en deux heures, si besoin était.
— Ah ! voilà mon service déserté.
— Je saurai bien vous revenir.
— Et je saurai bien te retrouver. Voyons, terminons là ; causer si longuement me fatigue. Avance la table.
— Voici.
Balsamo prit les papiers, et lut à mi-voix les lignes suivantes, sur un des papiers couvert de trois signatures, ou plutôt de trois chiffres étranges :
« Le 15 décembre, au Havre, pour Boston, P. J. l’Adonis. »
— Que penses-tu de l’Amérique, Gilbert ?
— Que ce n’est pas la France, et qu’il me sera fort doux d’aller par mer, à un moment donné, dans un pays quelconque qui ne sera pas la France.
— Bien !… Vers le 15 décembre : n’est-ce pas ce moment donné dont tu parles ?
Gilbert compta sur ses doigts en réfléchissant.
— Précisément, dit-il.
Balsamo prit une plume et se contenta d’écrire sur une feuille blanche ces deux lignes :
« Recevez sur l’Adonis un passager.
— Mais ce papier est dangereux, dit Gilbert en le regardant, et moi, qui cherche un gîte, je pourrai bien trouver la Bastille.
— À force d’avoir de l’esprit, on ressemble à un sot, dit le comte. L’Adonis, mon cher monsieur Gilbert, est un navire marchand dont je suis le principal armateur.
— Pardonnez-moi, monsieur le comte, dit Gilbert en s’inclinant ; je suis, en effet, un misérable à qui la tête tourne quelquefois, mais jamais deux fois de suite ; pardonnez-moi donc, et croyez à toute ma reconnaissance.
— Allez, mon ami.
— Adieu, monsieur le comte.
— Au revoir, dit Balsamo en lui tournant le dos.