Cet ordre fut l’explosion. Bordeu voulut dire quelques mots ; le roi lui imposa silence. Bordeu voyait, d’ailleurs, son collègue prêt à tout rapporter au dauphin ; Bordeu savait l’issue de la maladie du roi, il ne lutta pas, et quittant la chambre royale, avertit madame Dubarry du coup qui la frappait.
La comtesse, épouvantée de l’aspect sinistre et insultant qu’avaient déjà tous les visages, se hâta de disparaître. En une heure, elle fut hors de Versailles, et la duchesse d’Aiguillon, fidèle et reconnaissante amie, emmena la disgraciée au château de Rueil, qui lui venait par héritage du grand Richelieu. Bordeu, de son côté, ferma la porte du roi à toute la famille royale, sous prétexte de contagion. Cette chambre de Louis XV était désormais murée ; il n’y devait plus entrer que la religion et la mort. Le roi fut administré le jour même, et cette nouvelle se répandit dans Paris, où déjà la disgrâce de la favorite était un événement rebattu.
Toute la cour vint se faire annoncer chez le dauphin, qui ferma sa porte et ne reçut pas une personne.
Mais, le lendemain, le roi se portait mieux, et avait envoyé le duc d’Aiguillon porter ses compliments à madame Dubarry.
Ce lendemain, c’était le 9 mai 1774.
La cour déserta le pavillon du dauphin et se porta en telle affluence à Rueil, où la favorite habitait, que, depuis l’exil de M. de Choiseul à Chanteloup, on n’avait vu pareille file de carrosses.
Les choses en étaient donc là. Le roi vivra-t-il, et madame Dubarry est-elle toujours la reine ?
Le roi mourra-t-il, et madame Dubarry n’est-elle qu’une courtisane exécrable et honteuse ?
Voilà pourquoi Versailles à huit heures du soir, le 9 mai de l’année 1774, présentait un si curieux, un si intéressant spectacle.
Sur la place d’Armes, devant le palais, quelques groupes s’étaient formés devant les grilles, groupes bienveillants et empressés de savoir des nouvelles.