Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/170

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de s’appesantir ainsi sur l’humiliation imposée à sa souveraine.

Le cortège tourna vers la gauche, et la poterne s’ouvrit.

Bussy, à pied, l’épée nue à la main, s’avança au dehors de la petite porte, et s’inclina respectueusement devant Catherine ; autour de lui les plumes des chapeaux balayaient la terre.

— Soit, Votre Majesté, la bienvenue dans Angers, dit-il.

Il avait à ses côtés des tambours qui ne battirent pas, et des hallebardiers qui ne quittèrent pas le port d’armes.

La reine descendit de litière, et s’appuyant sur le bras d’un gentilhomme de sa suite, marcha vers la petite porte, après avoir répondu ce seul mot :

— Merci, monsieur de Bussy.

C’était toute la conclusion des méditations qu’on lui avait laissé le temps de faire.

Elle avançait la tête haute. Bussy la prévint tout à coup et l’arrêta même par le bras.

— Ah ! prenez garde, madame, la porte est bien basse ; Votre Majesté se heurterait.

— Il faut donc se baisser ? dit la reine ; comment faire ?… C’est la première fois que j’entre ainsi dans une ville.

Ces paroles, prononcées avec un naturel parfait, avaient pour les courtisans habiles un sens, une profondeur et une portée qui firent réfléchir plus d’un assistant, et Bussy lui-même se tordit la moustache en regardant de côté.

— Tu as été trop loin, lui dit Livarot à l’oreille.

— Bah ! laisse donc, répliqua Bussy, il faut qu’elle en voie bien d’autres.

On hissa la litière de S. M. par-dessus le mur avec un palan, et elle put s’y installer de nouveau pour aller au palais. Bussy et ses amis remontèrent à cheval escortant des deux côtés la litière.

— Mon fils ? dit tout à coup Catherine ; je ne vois pas mon fils d’Anjou ?

Ces mots qu’elle voulait retenir lui étaient arrachés par une irrésistible colère. L’absence de François en un pareil moment était le comble de l’insulte.

— Monseigneur est malade, au lit, madame ; sans quoi Votre Majesté ne peut douter que Son Altesse ne se fût empressée de faire elle-même les honneurs de sa ville.

Ici Catherine fut sublime d’hypocrisie.

— Malade ! mon pauvre enfant, malade ! s’écria-t-elle. Ah ! Messieurs, hâtons-nous… est-il bien soigné, au moins ?

— Nous faisons de notre mieux, dit Bussy en la regardant avec surprise comme pour savoir si réellement dans cette femme il y avait une mère.

— Sait-il que je suis ici ? reprit Catherine après une pause qu’elle employa utilement à passer la revue de tous les gentilshommes.

— Oui, certes, madame, oui.

Les lèvres de Catherine se pincèrent.

— Il doit bien souffrir alors, ajouta-t-elle, du ton de la compassion.

— Horriblement, dit Bussy. Son Altesse est sujette à ces indispositions subites.

C’est une indisposition subite, monsieur de Bussy ?

— Mon Dieu, oui, madame.

On arriva ainsi au palais. Une grande foule faisait la haie sur le passage de la litière.

Bussy courut devant par les montées, et entrant tout essoufflé chez le duc :

— La voici, dit-il… Gare !

— Est-elle furieuse ?

— Exaspérée.

— Elle se plaint ?

— Oh ! non ; c’est bien pis, elle sourit.

— Qu’a dit le peuple ?

— Le peuple n’a pas sourcillé ; il regarde cette femme avec une muette frayeur : s’il ne la connaît pas, il la devine.

— Et elle ?

— Elle envoie des baisers, et se mord le bout des doigts.

— Diable !

— C’est ce que j’ai pensé, oui, Monseigneur. Diable, jouez serré !

— Nous nous maintenons à la guerre, n’est-ce pas ?

— Pardieu ! demandez cent pour avoir dix, et, avec elle vous n’aurez encore que cinq.

— Bah ! tu me crois donc bien faible ?… Êtes-vous tous là ? Pourquoi Monsoreau n’est-il pas revenu ? fit le duc.

— Je le crois à Méridor… Oh ! nous nous passerons bien de lui.

— Sa Majesté la reine-mère ! cria l’huissier au seuil de la chambre.

Et aussitôt Catherine parut blême et vêtue de noir selon sa coutume.

Le duc d’Anjou fit un mouvement pour se lever. Mais Catherine, avec une agilité qu’on n’aurait pas soupçonnée en ce corps usé par l’âge, Catherine se jeta dans les bras de son fils et le couvrit de baisers.

— Elle va l’étouffer, pensa Bussy, ce sont de vrais baisers, mordieu !

Elle fit plus, elle pleura !

— Méfions-nous, dit Antraguet à Ribérac, chaque larme sera payée un muid de sang.

Catherine, ayant fini ses accolades, s’assit au chevet du duc ; Bussy fit un signe, et les assistants s’éloignèrent. Lui, comme s’il était chez lui, s’adossa aux pilastres du lit et attendit tranquillement.

— Est-ce que vous ne voudriez pas prendre soin de mes pauvres gens, mon cher Monsieur de Bussy, dit tout à coup Catherine. Après mon fils, c’est vous qui êtes notre ami le plus cher et maître du logis, n’est-ce pas ? je vous demande cette grâce.

Il n’y avait pas à hésiter.

Je suis pris, pensa Bussy.

— Madame, dit-il, trop heureux de pouvoir plaire à Votre Majesté, je m’en y vais.

Attends, murmura-t-il. Tu ne connais pas les portes ici comme au Louvre, je vais revenir.

Et il sortit, sans avoir pu adresser même un signe au duc. Catherine s’en défiait, elle ne le perdit pas de vue une seconde.

Catherine chercha tout d’abord à savoir si son fils était malade ou feignait seulement la maladie. Ce devait être toute la base de ses opérations diplomatiques.

Mais François, en digne fils d’une pareille mère, joua miraculeusement son rôle. Elle avait pleuré, il eut la fièvre.

Catherine, abusée, le crut malade ; elle espéra donc avoir plus d’influence sur un esprit affaibli par les souffrances du corps. Elle combla le duc de tendresse, l’embrassa de nouveau, pleura encore, et à tel point qu’il s’en étonna et en demanda la raison.

— Vous avez couru un si grand danger, répliqua-t-elle, mon enfant !

— En me sauvant du Louvre, ma mère.

— Oh ! non pas, après vous être sauvé.

— Comment cela !

— Ceux qui vous aidaient dans cette malheureuse évasion…

— Eh bien ?…

— Étaient vos plus cruels ennemis…

— Elle ne sait rien, pensa-t-il, mais elle voudrait savoir.

— Le roi de Navarre ! dit-elle tout brutalement, l’éternel fléau de nôtre race… Je le reconnais bien.

— Ah ! ah ! s’écria François, elle le sait.

— Croiriez-vous qu’il s’en vante, dit-elle, et qu’il pense avoir tout gagné ?

— C’est impossible, répliqua-t-il, on vous trompe, ma mère.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il n’est pour rien dans mon évasion, et qu’y fût-il pour quelque chose, je suis sauf comme vous voyez… Il y a deux ans que je n’ai vu le roi de Navarre.

— Ce n’est pas de ce danger seulement que je vous parle, mon fils, dit Catherine sentant que le coup n’avait pas porté. — Quoi encore, ma mère ? répliqua-t-il en regardant sou-