Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/183

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coup de sifflet d’argent avec lequel il avait l’habitude d’appeler ses serviteurs à l’hôtel de la rue de Grenelle-Saint-Honoré.

Le son en était aigu et vibrant. Ce son retentissait d’un bout à l’autre de la maison, et faisait accourir bêtes et gens.

Nous disons bêtes et gens, parce que Bussy, comme tous les hommes forts, se plaisait à dresser des chiens de combat, des chevaux indomptables, et des faucons sauvages.

Or, au son de ce sifflet, les chiens tressaillaient dans leurs chenils, les chevaux dans leurs écuries, les faucons sur leurs perchoirs.

Remy le reconnut à l’instant même. Diane tressaillit et regarda le jeune homme qui fit un signe affirmatif.

Puis il passa à sa gauche, et lui dit tout bas :

— C’est lui.

— Qu’est-ce ? demanda Monsoreau, et qui vous parle, Madame ?

— À moi ? personne, Monsieur.

— Si fait, une ombre a passé près de vous, et j’ai entendu une voix.

— Cette voix, dit Diane, est celle de M. Remy ; êtes-vous jaloux aussi de M. Remy ?

— Non ; mais j’aime à entendre parler tout haut, cela me distrait.

— Il y a cependant des choses que l’on ne peut pas dire devant M. le comte, interrompit Gertrude, venant au secours de sa maîtresse.

— Pourquoi cela ?

— Pour deux raisons.

— Lesquelles ?

— La première, parce qu’on peut dire des choses qui n’intéressent pas monsieur le comte, ou des choses qui l’intéressent trop.

— Et de quel genre étaient les choses que M. Remy vient de dire à madame ?

— Du genre de celles qui intéressent trop monsieur.

— Que vous disait Remy ? madame, je veux le savoir.

— Je disais, monsieur le comte, que si vous vous démenez ainsi, vous serez mort avant d’avoir fait le tiers de la route. On put voir, aux sinistres rayons des torches, le visage de Monsoreau devenir aussi pâle que celui d’un cadavre.

Diane, toute palpitante et toute pensive, se taisait.

— Il vous attend à l’arrière, dit d’une voix à peine intelligible Remy à Diane ; ralentissez un peu le pas de votre cheval ; il vous rejoindra.

Remy avait parlé si bas, que Monsoreau n’entendit qu’un murmure ; il fit un effort, renversa sa tête en arrière, et vit Diane qui le suivait.

— Encore un mouvement pareil, monsieur le comte, dit Remy, et je ne réponds pas de l’hémorragie.

Depuis quelque temps, Diane était devenue courageuse. Avec son amour était née l’audace que toute femme véritablement éprise pousse d’ordinaire au delà des limites raisonnables. Elle tourna bride et attendit.

Au même moment, Remy descendait de cheval, donnait sa bride à tenir à Gertrude, et s’approchait de la litière pour occuper le malade.

— Voyons ce pouls, dit-il, je parie que nous avons la fièvre.

Cinq secondes après, Bussy était à ses côtés.

Les deux jeunes gens n’avaient plus besoin de se parler pour s’entendre ; ils restèrent pendant quelques instants suavement embrassés.

— Tu vois, dit Bussy rompant le premier le silence, tu pars et je te suis.

— Oh ! que mes jours seront beaux, Bussy, que mes nuits seront douces, si je te sais toujours ainsi près de moi !

— Mais le jour, il nous verra.

— Non, tu nous suivras de loin, et c’est moi seulement qui te verrai, mon Louis. Au détour des routes, au sommet des monticules, la plume de ton feutre, la broderie de ton manteau, ton mouchoir flottant ; tout me parlera en ton nom, tout me dira que tu m’aimes. Qu’au moment où le jour baisse, où le brouillard bleu descend dans la plaine, je voie ton doux fantôme s’incliner en m’envoyant le baiser du soir, et je serai heureuse, bien heureuse !

— Parle, parle toujours, ma Diane bien-aimée, tu ne peux savoir toi-même tout ce qu’il y a d’harmonie dans ta douce voix.

— Et quand nous marcherons la nuit, et cela arrivera souvent, car Remy lui a dit que la fraîcheur du soir était bonne pour ses blessures, quand nous marcherons la nuit, alors, comme ce soir, de temps en temps, je resterai en arrière ; de temps en temps, je pourrai te presser dans mes bras et te dire, dans un rapide serrement de main, tout ce que j’aurai pensé de toi dans le courant du jour.

— Oh ! que je t’aime ! que je t’aime ! murmura Bussy.

— Vois-tu, dit Diane, je crois que nos âmes sont assez étroitement unies, pour que, même à distance l’un de l’autre, même sans nous parler, sans nous voir, nous soyons heureux par la pensée.

— Oh ! oui ! mais te voir, mais te presser dans mes bras, oh ! Diane ! Diane !

Et les chevaux se touchaient et se jouaient en secouant leurs brides argentées, et les deux amants s’étreignaient et oubliaient le monde.

Tout à coup, une voix retentit, qui les fit tressaillir tous deux, Diane de crainte, Bussy de colère.

— Madame Diane, criait cette voix, où êtes-vous ? Madame Diane, répondez !

Ce cri traversa l’air comme une funèbre évocation.

— Oh ! c’est lui, c’est lui ! je l’avais oublié, murmura Diane. C’est lui, je rêvais ! Ô doux songe ! réveil affreux !

— Écoute, s’écriait Bussy, écoute, Diane ; nous voici réunis. Dis un mot, et rien ne peut plus t’enlever à moi. Diane, fuyons. Qui nous empêche de fuir ? Regarde : devant nous l’espace, le bonheur, la liberté ! Un mot et nous partons ! un mot, et, perdue pour lui, tu m’appartiens éternellement.

Et le jeune homme la retenait doucement.

— Et mon père ? dit Diane.

— Quand le baron saura que je t’aimen murmura-t-il.

— Oh ! fit Diane. Un père, que dis-tu là ?

Ce seul mot fit rentrer Bussy en lui-même.

— Rien par violence, chère Diane, dit-il, ordonne et j’obéirai.

— Écoute, dit Diane en étendant la main, notre destinée est là ; soyons plus forts que le démon qui nous persécute ; ne crains rien, et tu verras si je sais aimer.

— Il faut donc nous séparer, mon Dieu ! murmura Bussy.

— Comtesse ! comtesse ! cria la voix. Répondez, ou, dussé-je me tuer, je saute au bas de cette infernale litière.

— Adieu, dit Diane, adieu ; il le ferait comme il le dit, et il se tuerait.

— Tu le plains ?

— Jaloux ! fit Diane, avec un adorable accent et un ravissant sourire.

Et Bussy la laissa partir.

En deux élans, Diane était revenue près de la litière : elle trouva le comte à moitié évanoui.

— Arrêtez ! murmura le comte, arrêtez !

— Morbleu ! disait Remy, n’arrêtez pas ! il est fou, s’il veut se tuer qu’il se tue.

Et la litière marchait toujours.

— Mais après qui donc criez-vous ? disait Gertrude, Madame est là, à mes côtés. Venez, Madame, et répondez-lui ; bien certainement M. le comte a le délire.

Diane, sans prononcer une parole, entra dans le cercle de lumière épandu par les torches.

— Ah ! fit Monsoreau épuisé, où donc étiez-vous ?

— Où voulez-vous que je sois, monsieur, sinon derrière vous ?

— À mes côtés, madame, à mes côtés ; ne me quittez pas.

Diane n’avait plus aucun motif pour rester en arrière ; elle savait que Bussy la suivait. Si la nuit eût été éclairée par un rayon de lune, elle eût pu le voir.

On arriva à la halte. Monsoreau se reposa quelques heu-