Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/227

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sortit de son épaule ; il rompit pour se rendre compte à lui-même de sa blessure.

Schomberg voulut renouveler le coup ; mais Ribérac releva son épée par une parade de prime, et lui porta un coup qui l’atteignit au côté.

Chacun avait sa blessure.

— Maintenant, reposons-nous quelques secondes, si vous voulez, dit Ribérac.

Cependant Quélus et Antraguet s’échauffaient de leur côté ; mais Quélus, n’ayant pas de dague, avait un grand désavantage ; il était obligé de parer avec son bras gauche, et comme son bras était nu, chaque parade lui coûtait une blessure. Sans être atteint grièvement, au bout de quelques secondes, il avait la main complètement ensanglantée.

Antraguet, au contraire, comprenant tout son avantage, et non moins habile que Quélus, parait avec une mesure extrême. Trois coups de riposte portèrent, et, sans être touché grièvement, le sang s’échappa de la poitrine de Quélus par trois blessures.

Mais, à chaque coup, Quélus répéta : Ce n’est rien.

Livarot et Maugiron en étaient toujours à la prudence.

Quant à Ribérac, furieux de douleur et sentant qu’il commençait à perdre ses forces avec son sang, il fondit sur Schomberg.

Schomberg ne recula pas d’un pas et se contenta de tendre son épée.

Les deux jeunes gens firent coup fourré.

Ribérac eut la poitrine traversée, et Schomberg fut blessé au cou.

Ribérac, blessé mortellement, porta la main gauche à sa plaie en se découvrant.

Schomberg en profita pour porter à Ribérac un second coup qui lui traversa les chairs.

Mais Ribérac, de sa main droite, saisit la main de son adversaire, et de la gauche lui enfonça dans la poitrine sa dague jusqu’à la coquille.

La lame aiguë traversa le cœur.

Schomberg poussa un cri sourd et tomba sur le dos, entraînant avec lui Ribérac, toujours traversé par l’épée.

Livarot voyant tomber son ami fit un pas de retraite rapide et courut à lui, poursuivi par Maugiron. Il gagna plusieurs pas dans la course, et aidant Ribérac dans les efforts qu’il faisait pour se débarrasser de l’épée de Schomberg, il lui arracha cette épée de la poitrine.

Mais alors, rejoint par Maugiron, force lui fut de se défendre avec le désavantage d’un terrain glissant, d’une garde mauvaise et du soleil dans les yeux.

Au bout d’une seconde, un coup d’estoc ouvrit la tête de Livarot, qui laissa échapper son épée et tomba sur les genoux.

Quélus était vivement serré par Antraguet. Maugiron se hâta de percer Livarot d’un coup de pointe. Livarot tomba tout à fait.

D’Épernon poussa un grand cri.

Quélus et Maugiron restaient contre le seul Antraguet. Quélus était tout sanglant, mais de blessures légères.

Maugiron était à peu près sauf.

Antraguet comprit le danger ; il n’avait pas reçu la moindre égratignure, mais il commençait à se sentir fatigué ; ce n’était cependant pas le moment de demander trêve à un homme blessé et à un autre tout chaud de carnage. D’un coup de fouet il écarta violemment l’épée de Quélus, et, profitant de l’écartement du fer, il sauta légèrement par-dessus une barrière.

Quélus revint par un coup de taille, mais qui n’entama que le bois.

Mais, en ce moment Maugiron attaqua Antraguet de flanc. Antraguet se retourna. Quélus profita du mouvement pour passer sous la barrière.

— Il est perdu, dit Chicot.

— Vive le roi ! dit d’Épernon, hardi, mes lions, hardi !

— Monsieur, du silence, s’il vous plaît, dit Antraguet ; n’insultez pas un homme qui se battra jusqu’au dernier souffle.

— Et qui n’est pas encore mort, s’écria Livarot.

Et au moment où nul ne pensait plus à lui, hideux de la fange sanglante qui lui couvrait le corps, il se releva sur ses genoux et plongea sa dague entre les épaules de Maugiron qui tomba comme une masse en soupirant :

— Jésus, mon Dieu ! je suis mort.

Livarot retomba évanoui ; l’action et la colère avaient épuisé le reste de ses forces.

— Monsieur de Quélus, dit Antraguet, baissant son épée, vous êtes un homme brave, rendez-vous, je vous offre la vie.

— Et pourquoi me rendre ? dit Quélus, suis-je à terre ?

— Non ; mais vous êtes criblé de coups, et moi je suis sain et sauf.

— Vive le roi ! cria Quélus, j’ai encore mon épée, monsieur.

Et il se fendit sur Antraguet, qui para le coup, si rapide qu’il eût été.

— Non, monsieur, vous ne l’avez plus, dit Antraguet, saisissant à pleine main la lame près de la garde.

Et il tordit le bras de Quélus, qui lâcha l’épée.

Seulement Antraguet se coupa légèrement un doigt de la main gauche.

— Oh ! hurla Quélus, une épée ! une épée !

Et, se lançant sur Antraguet d’un bond de tigre, il l’enveloppa de ses deux bras.

Antraguet se laissa prendre au corps, et, passant son épée dans sa main gauche et sa dague dans sa main droite, il se mit à frapper sur Quélus sans relâche et partout, s’éclaboussant à chaque coup du sang de son ennemi, à qui rien ne pouvait faire lâcher prise, et qui criait à chaque blessure :

— Vive le roi !

Il réussit même à retenir la main qui le frappait, et à garrotter, comme eût fait un serpent, son ennemi intact entre ses jambes et ses bras.

Antraguet sentit que la respiration allait lui manquer.

En effet, il chancela et tomba.

Mais en tombant, comme si tout le devait favoriser ce jour-là, il étouffa, pour ainsi dire, le malheureux Quélus.

— Vive le roi ! murmura ce dernier, à l’agonie.

Antraguet parvint à dégager sa poitrine de l’étreinte, il se raidit sur un bras, et le frappant d’un dernier coup qui lui traversa la poitrine :

— Tiens, lui dit-il, es-tu content ?

— Vive le r…, articula Quélus, les yeux à demi fermés.

Ce fut tout ; le silence et la terreur de la mort régnaient sur le champ de bataille.

Antraguet se releva tout sanglant, mais du sang de son ennemi ; il n’avait, comme nous l’avons dit, qu’une égratignure à la main.

D’Épernon, épouvanté, fit un signe de croix et prit la fuite, comme s’il eût été poursuivi par un spectre.

Antraguet jeta sur ses compagnons et ses ennemis, morts et mourants, le même regard qu’Horace dut jeter sur le champ de bataille qui décidait les destins de Rome.

Chicot secourut et releva Quélus, qui rendait son sang par dix-neuf blessures.

Le mouvement le ranima.

Il rouvrit les yeux.

— Antraguet, sur l’honneur, dit-il, je suis innocent de la mort de Bussy.

— Oh ! je vous crois, monsieur, fit Antraguet attendri, je vous crois.

— Fuyez, murmura Quélus, fuyez, le roi ne vous pardonnerait pas.

— Et moi, Monsieur, je ne vous abandonnerai pas ainsi, dit Antraguet, dût l’échafaud me prendre.

— Sauvez-vous, jeune homme, dit Chicot, et ne tentez pas Dieu ; vous vous sauvez par un miracle, n’en demandez pas deux le même jour.

Antraguet s’approcha de Ribérac qui respirait encore.

— Eh bien ! demanda celui-ci.

— Nous sommes vainqueurs, répondit Antraguet à voix basse pour ne pas offenser Quélus.

— Merci, dit Ribérac. Va-t’en.

Et il retomba évanoui.