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Antraguet ramassa sa propre épée, qu’il avait laissé tomber dans la lutte, puis celles de Quélus, de Schomberg et de Maugiron.

— Achevez-moi, monsieur, dit Quélus, ou laissez-moi mon épée.

— La voici, monsieur le comte, dit Antraguet en la lui offrant avec un salut respectueux.

Une larme brilla aux yeux du blessé.

— Nous eussions pu être amis, murmura-t-il.

Antraguet lui tendit la main.

— Bien ! fit Chicot ; c’est on ne peut plus chevaleresque. Mais sauve-toi, Antraguet, tu es digne de vivre.

— Et mes compagnons ? demanda le jeune homme.

— J’en aurai soin, comme des amis du roi.

Antraguet s’enveloppa du manteau que lui tendait son écuyer, afin que l’on ne vît pas le sang dont il était couvert, et laissant les morts et les blessés au milieu des pages et des laquais, il disparut par la porte Saint-Antoine.


CHAPITRE XCVII.

CONCLUSION.


Le roi, pâle d’inquiétude et frémissant au moindre bruit, arpentait la salle d’armes, conjecturant, avec l’expérience d’un homme exercé, tout le temps que ses amis avaient dû employer à joindre et à combattre leurs adversaires, ainsi que toutes les chances bonnes ou mauvaises que leur donnaient leur caractère, leur force et leur adresse.

— À cette heure, avait-il dit d’abord, ils traversent la rue Saint-Antoine.

Ils entrent dans le champ clos, maintenant.

On dégaine. À cette heure, ils sont aux mains.

Et, à ces mots, le pauvre roi, tout frissonnant, s’était mis en prières.

Mais le fond du cœur absorbait d’autres sentiments, et cette dévotion des lèvres ne faisait que glisser à la surface.

Au bout de quelques secondes, le roi se releva.

— Pourvu que Quélus, dit-il, se souvienne de ce coup de riposte que je lui ai montré, en parant avec l’épée et en frappant avec la dague.

Quant à Schomberg, l’homme de sang-froid, il doit tuer ce Ribérac. Maugiron, s’il n’a pas mauvaise chance, se débarrassera vite de Livarot. Mais d’Épernon ! oh ! celui-là est mort. Heureusement que c’est celui des quatre que j’aime le moins. Mais, malheureusement, ce n’est pas le tout qu’il soit mort, c’est que, lui mort, Bussy, le terrible Bussy, ne tombe sur les autres en se multipliant. Ah ! mon pauvre Quélus ! mon pauvre Schomberg ! mon pauvre Maugiron !

— Sire ! dit à la porte la voix de Crillon.

— Quoi ! déjà ! s’écria le roi.

— Non, sire, je n’apporte aucune nouvelle, si ce n’est que le duc d’Anjou demande à parler à Votre Majesté.

— Et pourquoi faire ? demanda le roi, dialoguant toujours à travers la porte.

— Il dit que le moment est venu pour lui d’apprendre à Votre Majesté quel genre de service il lui a rendu, et que ce qu’il a à dire au roi calmera une partie des craintes qui l’agitent en ce moment.

— Eh bien ! allez donc, dit le roi.

En ce moment, et comme Crillon se retournait pour obéir, un pas rapide retentit par les montées, et l’on entendit une voix qui disait à Crillon :

— Je veux parler au roi à l’instant même !

Le roi reconnut la voix et ouvrit lui-même.

— Viens, Saint-Luc, viens, dit-il. Qu’y a-t-il encore ? Mais qu’as-tu, mon Dieu, et qu’est-il arrivé ? Sont-ils morts ?

En effet, Saint-Luc, pâle, sans chapeau, sans épée, tout marbré de taches de sang, se précipitait dans la chambre du roi.

— Sire, s’écria Saint-Luc en se jetant aux genoux du roi, vengeance ! je viens vous demander vengeance !

— Mon pauvre Saint-Luc, dit le roi, qu’y a-t-il donc ? parle, et qui peut te causer un pareil désespoir ?

— Sire, un de vos sujets, le plus noble ; un de vos soldats, le plus brave… La parole lui manqua.

— Hein ? fit en avançant Crillon, qui croyait avoir des droits à ce dernier titre surtout.

— À été égorgé cette nuit, traîtreusement égorgé, assassiné, acheva Saint-Luc.

Le roi, préoccupé d’une seule idée, se rassura ; ce n’était aucun de ses quatre amis, puisqu’il les avait vus le matin.

— Égorgé, assassiné cette nuit ! dit le roi ; de qui parles-tu donc, Saint-Luc ?

— Sire, vous ne l’aimez pas, je le sais bien, continua Saint-Luc ; mais il était fidèle et, dans l’occasion, je vous le jure, il eût donné tout son sang pour Votre Majesté ; sans quoi il n’eût pas été mon ami.

— Ah ! fit le roi, qui commençait à comprendre.

Et quelque chose comme un éclair, sinon de joie, du moins d’espérance, illumina son visage.

— Vengeance, sire, pour M. de Bussy, cria Saint-Luc ; vengeance !

— Pour M. de Bussy ? répéta le roi en appuyant sur chaque mot.

— Oui, pour M. de Bussy, que vingt assassins ont poignardé cette nuit. Et bien leur en a pris d’être vingt, car il en a tué quatorze.

— M. de Bussy mort !…

— Oui, sire.

— Alors, il ne se bat pas ce matin ! dit tout à coup le roi, emporté par un mouvement irrésistible.

Saint-Luc lança au roi un regard qu’il ne put soutenir : en se détournant, il vit Crillon qui, toujours debout près de la porte, attendait de nouveaux ordres.

Il lui fit signe d’amener le duc d’Anjou.

— Non, Sire, ajouta Saint-Luc d’une voix sévère, M. de Bussy ne s’est point battu, en effet, et voilà pourquoi je viens demander, non pas vengeance, comme j’ai eu tort de le dire à Votre Majesté, mais justice ; car j’aime mon roi, et surtout l’honneur de mon roi par-dessus toutes choses, et je trouve qu’en poignardant M. de Bussy on a rendu un déplorable service à Votre Majesté.

Le duc d’Anjou venait d’arriver à la porte ; il s’y tenait débout et immobile comme une statue de bronze.

Les paroles de Saint-Luc avaient éclairé le roi ; elles lui rappelaient le service que son frère prétendait lui avoir rendu.

Son regard se croisa avec celui du duc, et il n’eut plus de doute, car, en même temps qu’il lui répondait oui du regard, le duc avait fait de haut en bas un signe imperceptible de tête.

— Savez-vous ce que l’on va dire maintenant ? s’écria Saint-Luc. On va dire, si vos amis sont vainqueurs, qu’ils ne le sont que parce que vous avez fait égorger Bussy.

— Et qui dit cela, monsieur ? demanda le roi.

— Pardieu ! tout le monde, dit Crillon se mêlant sans façon et comme d’habitude, à la conversation.

— Non, monsieur, dit le roi, inquiet et subjugué par cette opinion de celui qui était le plus brave de son royaume depuis que Bussy était mort, non, Monsieur, on ne le dira pas, car vous me nommerez l’assassin.

Saint-Luc vit une ombre se projeter.

C’était le duc d’Anjou, qui venait de faire deux pas dans la chambre. Il se retourna et le reconnut.

— Oui, sire, je le nommerai ! dit-il en se relevant, car je veux à tout prix disculper Votre Majesté d’une si abominable action.

— Eh bien, dites.

Le duc s’arrêta et attendit tranquillement.

Crillon se tenait derrière lui, le regardant de travers et secouant la tête.

— Sire, reprit Saint-Luc, cette nuit, on a fait tomber Bussy dans un piège : tandis qu’il rendait visite à une femme dont il était aimé, le mari, prévenu par un traître, est rentré chez lui avec des assassins ; il y en avait partout, dans la rue, dans la cour et jusque dans le jardin.