Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/100

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tation qu’Hoffmann accepta avec la même cordialité qu’elle était faite.

Alors, pour quelques instants la belle et poétique vierge des cantiques divins se transforma en une bonne ménagère. Antonia versa le thé comme Clarisse Harlowe, fit des tartines de beurre comme Charlotte, et finit par se mettre elle-même à table et par manger comme une simple mortelle.

Les Allemands n’entendent pas la poésie comme nous. Dans nos données de monde maniéré, la femme qui mange et qui boit se dépoétise. Si une jeune et jolie femme se met à table, c’est pour présider le repas ; si elle a un verre devant elle, c’est pour y fourrer ses gants, si toutefois elle ne conserve pas ses gants ; si elle a une assiette, c’est pour y égrainer, à la fin du repas, une grappe de raisin, dont l’immatérielle créature consent parfois à sucer les grains les plus dorés, comme fait une abeille d’une fleur.

On comprend, d’après la façon dont Hoffmann avait été reçu chez maître Gottlieb, qu’il y revint le lendemain, le surlendemain et les jours suivants. Quant à maître Gottlieb, cette fréquence de visites d’Hoffmann ne paraissait aucunement l’inquiéter : Antonia était trop pure, trop chaste, trop confiante dans son père, pour que le soupçon vînt au vieillard que sa fille pût commettre une faute. Sa fille, c’était sainte Cécile, c’était la vierge Marie, c’était un ange des cieux ; l’essence divine l’emportait tellement en elle sur la matière terrestre, que le vieillard n’avait jamais jugé à propos de lui dire qu’il y avait plus de danger dans le contact de deux corps que dans l’union de deux âmes.

Hoffmann était donc heureux, c’est-à-dire aussi heureux