Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/34

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dont je parlais tout à l’heure. Je pouvais arriver sans prévenir, à l’heure du dîner ; on me recevait avec des cris qui ne me laissaient pas de doute sur ma bienvenue, et l’on me mettait à table, ou plutôt je me mettais à table entre madame Nodier et Marie.

Au bout d’un certain temps, ce qui n’était qu’un point de fait devint un point de droit. Arrivais-je trop tard, était-on à table, ma place était-elle prise : on faisait un signe d’excuse au convive usurpateur, ma place m’était rendue, et, ma foi ! se mettait où il pouvait celui que j’avais déplacé.

Nodier alors prétendait que j’étais une bonne fortune pour lui, en ce que je le dispensais de causer. Mais, si j’étais une bonne fortune pour lui, j’étais une mauvaise fortune pour les autres. Nodier était le plus charmant causeur qu’il y eût au monde. On avait beau faire à ma conversation tout ce qu’on fait à un feu pour qu’il flambe, l’éveiller, l’attiser, y jeter cette limaille qui fait jaillir les étincelles de l’esprit comme celles de la forge ; c’était de la verve, c’était de l’entrain, c’était de la jeunesse ; mais ce n’était point cette bonhomie, ce charme inexprimable, cette grâce infinie, où, comme dans un filet tendu, l’oiseleur prend tout, grands et petits oiseaux. Ce n’était pas Nodier.

c’était un pis-aller dont on se contentait, voilà tout.

Mais parfois je boudais, parfois je ne voulais pas parler, et, à mon refus de parler, il fallait bien, comme il était chez lui, que Nodier parlât ; alors tout le monde écoutait, petits enfans et grandes personnes. C’était à la fois Walter Scott et Perrault, c’était le savant aux prises avec le poëte, c’était la mémoire en lutte avec l’imagination. Non-