Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/44

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asiatiques, madame Nodier se levait et allait faire allumer le salon. Souvent moi, qui ne prenais point de café, je l’accompagnais. Ma longue taille lui était d’une grande utilité pour éclairer le lustre sans monter sur les chaises.

Alors, le salon s’illuminait, car avant le dîner et les jours ordinaires on n’était jamais reçu que dans la chambre à coucher de madame Nodier ; alors le salon s’illuminait et éclairait des lambris peints en blanc avec des moulures Louis XV, un ameublement des plus simples, se composant de douze fauteuils et d’un canapé en casimir rouge, de rideaux de croisée de même couleur, d’un buste d’Hugo, d’une statue d’Henri IV, d’un portrait de Nodier et d’un paysage alpestre de Régnier.

Dans ce salon, cinq minutes après son éclairage, entraient les convives, Nodier venant le dernier, appuyé soit au bras de Dauzats, soit au bras de Bixio, soit au bras de Francis Wey, soit au mien, Nodier toujours soupirant et se plaignant comme s’il n’eût eu que le souffle ; alors il allait s’étendre dans un grand fauteuil à droite de la cheminée, les jambes allongées, les bras pendans, ou se mettre debout devant le chambranle, les mollets au feu, le dos à la glace. S’il s’étendait dans le fauteuil, tout était dit : Nodier, plongé dans cet instant de béatitude que donne le café, voulait jouir en égoïste de lui-même, et suivre silencieusement le rêve de son esprit ; s’il s’adossait au chambranle, c’était autre chose : c’est qu’il allait conter ; alors tout le monde se taisait, alors se déroulait une de ces charmantes histoires de sa jeunesse qui semblent un roman de Longus, une idylle de Théocrite ; ou quelque sombre drame de la révolution, dont un champ de bataille de la Vendée