Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/49

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comme vous voyez, je vous lis, et quand je suis fatigué, j’appelle ma fille, et ma fille vous lit.

Et Nodier me montra effectivement mes livres épars sur son lit et sur sa table.

Ce fut un de mes momens d’orgueil réel. Nodier isolé du monde, Nodier ne pouvant plus travailler, Nodier, cet esprit immense, qui savait tout, Nodier me lisait et s’amusait en me lisant.

Je lui pris les mains, j’eusse voulu les baiser, tant j’étais reconnaissant.

À mon tour, j’avais lu la veille une chose de lui, un petit volume qui venait de paraître en deux livraisons de la Revue des Deux-Mondes.

C’était Inès de Las Sierras.

J’étais émerveillé. Ce roman, une des dernières publications de Charles, était si frais, si coloré, qu’on eût dit une œuvre de sa jeunesse que Nodier avait retrouvée et mise au jour à l’autre horizon de sa vie.

Cette histoire d’Inès, c’était une histoire d’apparition de spectres, de fantômes ; seulement, toute fantastique durant la première partie, elle cessait de l’être dans la seconde ; la fin expliquait le commencement. Oh ! de cette explication je me plaignis amèrement à Nodier.

— C’est vrai, me dit-il, j’ai eu tort ; mais j’en ai une autre ; celle-là je ne la gâterai pas, soyez tranquille.

— À la bonne heure, et quand vous y mettrez-vous, à cette œuvre-là ?

Nodier me prit la main.

— Celle-là, je ne la gâterai pas, parce que ce n’est pas moi qui l’écrirai, dit-il.