Page:Dumas - La Reine Margot (1886).djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
LA REINE MARGOT.

core sur les côtés latéraux de ce second compartiment. L’une s’ouvre sur une petite chambre éclairée par le toit et qui n’a pour tout meuble qu’un vaste fourneau, des cornues des alambics, des creusets : c’est le laboratoire de l’alchimiste. L’autre s’ouvre sur une cellule plus bizarre que le reste de l’appartement, car elle n’est point éclairée du tout, car elle n’a ni tapis ni meubles, mais seulement une sorte d’autel de pierre.

Le parquet est une dalle inclinée du centre aux extrémités, et aux extrémités court au pied du mur une espèce de rigole aboutissant à un entonnoir par l’orifice duquel on voit couler l’eau sombre de la Seine. À des clous enfoncés dans la muraille sont suspendus des instruments de forme bizarre, tous aigus ou tranchants ; la pointe en est fine comme celle d’une aiguille, le fil en est tranchant comme celui d’un rasoir ; les uns brillent comme des miroirs, les autres, au contraire, sont d’un gris mat ou d’un bleu sombre.

Dans un coin, deux poules noires se débattent, attachées l’une à l’autre par la patte : c’est le sanctuaire de l’augure.

Revenons à la chambre du milieu, à la chambre aux deux compartiments.

C’est là qu’est introduit le vulgaire des consultants ; c’est là que les ibis égyptiens, les momies aux bandelettes dorées, le crocodile bâillant au plafond, les têtes de mort aux yeux vides et aux dents branlantes, enfin les bouquins poudreux vénérablement rongés par les rats, offrent à l’œil du visiteur le pêle-mêle d’où résultent les émotions diverses qui empêchent la pensée de suivre son droit chemin. Derrière le rideau sont des fioles, des boîtes particulières, des amphores à l’aspect sinistre ; tout cela est éclairé par deux petites lampes d’argent exactement pareilles, qui semblent enlevées à quelque autel de Santa-Maria-Novella ou de l’église Dei-Servi de Florence, et qui, brûlant une huile parfumée, jettent leur clarté jaunâtre du haut de la voûte sombre où chacune est suspendue par trois chaînettes noircies.

René, seul et les bras croisés, se promène à grands pas dans le second compartiment de la chambre du milieu, en secouant la tête. Après une méditation longue et douloureuse, il s’arrête devant un sablier.

— Ah ! ah ! dit-il, j’ai oublié de le retourner, et voilà que depuis longtemps peut-être tout le sable est passé.