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LA REINE MARGOT.

vous ? je vous aime ! Eh bien, oui, je vous le répète, il vous tuerait !

— Grand Dieu ! s’écria La Mole en se renversant en arrière et en regardant Marguerite avec effroi, serait-il possible ?

— Tout est possible, ami, en notre temps et dans cette cour. Maintenant, un seul mot : ce n’était pas pour moi que M. de Mouy, revêtu de votre manteau, le visage caché sous votre feutre, venait au Louvre. C’était pour M. d’Alençon. Mais moi, je l’ai amené ici, croyant que c’était vous. Il tient notre secret, La Mole, il faut donc le ménager.

— J’aime mieux le tuer, dit La Mole, c’est plus court et c’est plus sûr.

— Et moi, mon brave gentilhomme, dit la reine, j’aime mieux qu’il vive et que vous sachiez tout, car sa vie nous est non-seulement utile, mais nécessaire. Écoutez et pesez bien vos paroles avant de me répondre : m’aimez-vous assez, La Mole, pour vous réjouir si je devenais véritablement reine, c’est-à-dire maîtresse d’un véritable royaume ?

— Hélas ! Madame, je vous aime assez pour désirer ce que vous désirez, ce désir dût-il faire le malheur de toute ma vie !

— Eh bien ! voulez-vous m’aider à réaliser ce désir, qui vous rendra plus heureux encore ?

— Oh ! je vous perdrai, Madame ! s’écria La Mole en cachant sa tête dans ses mains.

— Non pas, au contraire ; au lieu d’être le premier de mes serviteurs, vous deviendrez le premier de mes sujets. Voilà tout.

— Oh ! pas d’intérêt… pas d’ambition, Madame… ne souillez pas vous-même le sentiment que j’ai pour vous… du dévouement, rien que du dévouement !

— Noble nature ! dit Marguerite. Eh bien, oui, je l’accepte, ton dévouement, et je saurai le reconnaître.

Et elle lui tendit ses deux mains que La Mole couvrit de baisers.

— Eh bien ? dit-elle.

— Eh bien, oui ! répondit La Mole. Oui, Marguerite, je commence à comprendre ce vague projet dont on parlait déjà chez nous autres huguenots avant la Saint-Barthélemy ; ce projet pour l’exécution duquel, comme tant d’autres plus dignes que moi, j’avais été mandé à Paris. Cette royauté réelle de Navarre qui devait remplacer une royauté fictive,