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Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/54

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Alors le meurtrier retourna son arme, et la prenant à deux mains par le canon, il assomma Jean de Witt d’un coup de crosse.

Jean de Witt chancela et tomba à ses pieds.

Mais aussitôt, se relevant par un suprême effort,

— Mon frère ! cria-t-il d’une voix tellement lamentable que le jeune homme tira le contrevent sur lui.

D’ailleurs il restait peu de chose à voir, car un troisième assassin lui lâcha à bout portant un coup de pistolet qui partit cette fois et lui fit sauter le crâne.

Jean de Witt tomba pour ne plus se relever.

Alors chacun de ces misérables, enhardi par cette chute, voulut décharger son arme sur le cadavre. Chacun voulut donner un coup de masse, d’épée ou de couteau, chacun voulut tirer sa goutte de sang, arracher son lambeau d’habits.

Puis quand ils furent tous deux bien meurtris, bien déchirés, bien dépouillés, la populace les traîna nus et sanglants à un gibet improvisé, où des bourreaux amateurs les suspendirent par les pieds.

Alors arrivèrent les plus lâches, qui n’ayant pas osé frapper la chair vivante, taillèrent en lambeaux la chair morte, puis s’en allèrent vendre par la ville des petits morceaux de Jean et de Corneille à dix sous la pièce.

Nous ne pourrions dire si à travers l’ouverture presque imperceptible du volet le jeune homme vit la fin de cette terrible scène, mais au moment même où l’on pendait les deux martyrs au gibet, il traversait la foule qui était trop occupée de la joyeuse besogne qu’elle accomplissait pour s’inquiéter de lui, et gagnait le Tol-Hek toujours fermé.