Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/95

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Et, cette nuit-là, Boxtel enjamberait la muraille, et comme il savait où était l’oignon qui devait donner la grande tulipe noire, il enlèverait cet oignon ; au lieu de fleurir chez Cornélius, la tulipe noire fleurirait chez lui, et ce serait lui qui aurait le prix de cent mille florins, au lieu que ce fût Cornélius, sans compter cet honneur suprême d’appeler la fleur nouvelle tulipa nigra Boxtellensis.

Résultat qui satisfaisait non seulement sa vengeance, mais sa cupidité.

Éveillé, il ne pensait qu’à la grande tulipe noire ; endormi, il ne rêvait que d’elle.

Enfin, le 19 août, vers deux heures de l’après-midi, la tentation fut si forte que mynheer Isaac ne sut point y résister plus longtemps.

En conséquence, il dressa une dénonciation anonyme, laquelle remplaçait l’authenticité par la précision, et jeta cette dénonciation à la poste.

Jamais papier vénéneux glissé dans les gueules de bronze de Venise ne produisit un plus prompt et un plus terrible effet.

Le même soir, le principal magistrat reçut la dépêche ; à l’instant même il convoqua ses collègues pour le lendemain matin. Le lendemain matin ils s’étaient réunis, avaient décidé l’arrestation et avaient remis l’ordre, afin qu’il fût exécuté, à maître van Spennen, qui s’était acquitté, comme nous avons vu, de ce devoir en digne Hollandais, et avait arrêté Cornélius van Baerle juste au moment où les orangistes de la Haye faisaient rôtir les morceaux des cadavres de Corneille et de Jean de Witt.

Mais, soit honte, soit faiblesse dans le crime, Isaac Boxtel n’avait pas eu le courage de braquer ce jour-là son