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Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/94

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D’ailleurs, mynheer Isaac Boxtel s’encourageait avec ce sophisme :

Corneille de Witt est un mauvais citoyen, puisqu’il est accusé de haute trahison et arrêté.

Je suis, moi, un bon citoyen, puisque je ne suis accusé de rien au monde et que je suis libre comme l’air.

Or, si Corneille de Witt est un mauvais citoyen, ce qui est chose certaine, puisqu’il est accusé de haute trahison et arrêté, son complice Cornélius van Baerle est un non moins mauvais citoyen que lui.

Donc, comme moi je suis un bon citoyen, et qu’il est du devoir des bons citoyens de dénoncer les mauvais citoyens, il est de mon devoir à moi, Isaac Boxtel, de dénoncer Cornélius van Baerle.

Mais ce raisonnement n’eût peut-être pas, si spécieux qu’il fût, pris un empire complet sur Boxtel, et peut-être l’envieux n’eût-il pas cédé au simple désir de vengeance qui lui mordait le cœur, si à l’unisson du démon de l’envie n’eût surgi le démon de la cupidité.

Boxtel n’ignorait pas le point où van Baerle était arrivé de sa recherche sur la grande tulipe noire.

Si modeste que fût le docteur Cornélius, il n’avait pu cacher à ses plus intimes qu’il avait la presque certitude de gagner en l’an de grâce 1673 le prix de cent mille florins proposé par la société d’horticulture de Harlem.

Or, cette presque certitude de Cornélius van Baerle, c’était la fièvre qui rongeait Isaac Boxtel.

Si Cornélius était arrêté, cela occasionnerait certainement un grand trouble dans la maison. La nuit qui suivrait l’arrestation, personne ne songerait à veiller sur les tulipes du jardin.