Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/122

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ment ; ils se tournèrent vers le nouveau soleil, et le nouveau soleil les éclaira. Il n’en fut pas de même du malheureux monolithe : condamné à l’immobilité, cette immobilité fut taxée d’opposition ; il demeura dans l’ombre et fut oublié.

Les choses demeurèrent ainsi pendant quelque temps ; mais un jour que le nouveau grand-duc passait sur la place de Saint-Marc, la belle Bianca Capello, qui l’accompagnait, lui rappela que c’était sur cette place qu’elle l’avait vu pour la première fois, et lui demanda s’il ne l’aimait point assez pour éterniser ce souvenir par un monument quelconque. Francesco Ier avait sous la main la chose demandée ; il étendit le doigt vers la colonne, et, parodiant les belles paroles du Sauveur à Lazare, il dit, comme le Christ : « Lève-toi. »

Malheureusement Francesco Ier n’avait pas, comme le fils de Marie, le don de faire des miracles : pour que la colonne se levât, il fallait procéder par des moyens humains. On fit venir un architecte ; on lui transmit l’ordre donné. Cet architecte était Pietro Tacca, élève et successeur de Jean de Bologne ; il se mit à l’œuvre, et, cinq ou six mois après, la base en forme de dé était prête, et la colonne, se soulevant sur ses travées, se regardait comme déjà dressée, méprisant d’avance toute ligne qui n’était pas la perpendiculaire.

Mais l’homme propose et Dieu dispose, comme dit le proverbe. Sur ces entrefaites Jeanne d’Autriche mourut.

On sait quelle réaction cette mort opéra dans l’esprit du faible et vacillant Francesco ; il jura au lit d’agonie de sa femme de se séparer de sa maîtresse, et, pour que sa conversion fût visible aux yeux de tous, il voulut que la colonne, destinée à perpétuer d’abord les commencemens de cet amour, fût le monument expiatoire qui en signalât la fin. Il ordonna donc que la colonne fût dressée à l’endroit où elle devait l’être, mais il décida qu’elle serait surmontée par une statue de Jeanne d’Autriche.

Tacca reçut donc l’ordre d’abandonner la colonne pour se mettre à la statue. Le monolithe, qui n’avait point pris parti entre Jeanne d’Autriche et Bianca Capello, et à qui peu importait la chose qu’il supporterait, pourvu qu’il supportât quelque chose, prit patience et attendit que la statue fût exécutée.