Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/133

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Grato m’e il sono, ne piu l’esser di sasso ;
Mentre che il danno e la vergogna dura,
Non veder, non sentir, m’è gran’ ventura.
Pero non mi destar : deh ! parla basso.

« Le sommeil m’est doux, mais il m’est plus doux encore d’être de pierre ; car tout le temps que durera notre honte et notre deuil, ce me sera une fortune de ne pas voir et de ne pas sentir. Ne m’éveille donc pas. Ah ! parle bas ! »

Maintenant peut-être dira-t-on qu’il faut être la déesse de la Nuit elle-même pour dormir dans l’attitude impossible que Michel-Ange a donnée à sa statue ; mais Michel-Ange était bien homme à s’inquiéter, lui, du possible ou de l’impossible ! ce qu’il lui fallait, à lui, c’étaient de ces torses tourmentés qui laissaient voir toute la charpente humaine, et qui prouvaient que, à l’instar de Prométhée, il pouvait créer son semblable. Les hommes d’une certaine taille ne doivent pas être soumis au compas et à l’équerre ; il faut les regarder comme ils veulent être vus, par la terre et par le ciel, d’en bas et d’en haut.

Il y a encore dans la même chapelle une Vierge et un Enfant Jésus qui peuvent aussi bien être une Latone et un Apollon, une Sémélé et un Bacchus, une Alcmène et un Hercule. Michel-Ange était le sculpteur païen par excellence ; son Mose in vincoli est un Jupiter Olympien ; son Christ de la Sixtine, un Apollon Vengeur.

Qu’importe ! tout cela est grand, tout cela est beau, tout cela est sublime ! Michel-Ange est colossal comme ses statues : la critique ne lui va pas au genou. Mais voici qu’Alexandre Ier est assassiné par son cousin Lorenzino, et que, comme on ne sait où mettre son cadavre, on le jette avec celui du duc d’Urbin, son père putatif. Cosme Ier monte sur le trône. Le principat entre dans la famille des Médicis, arrivée à son apogée, avec le fils de Jean des Bandes. Les chapelles sont si étroites, qu’on est obligé de mettre les tombeaux les uns sur les autres ; les tombeaux sont si pleins, qu’on est obligé de mettre deux cadavres dans le même tombeau. Il faut d’autres tombeaux, il faut une autre chapelle. On n’aura plus Michel-Ange, c’est vrai, pour