Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/261

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transmettre sans retard à son gouvernement, avait fait partir une de ses hommes en estafette, et, d’estafette en estafette, la nouvelle avait traversé les Alpes, était descendue à Turin, et était enfin arrivée à Gênes. La Gazette de Gênes la rapportait telle que le télégraphe l’avait donnée, sans commentaires, sans explications, mais à sa colonne officielle ; il n’y avait donc plus de doute à avoir, il n’y avait donc plus d’espoir à conserver.

La sensation était profonde. Tel est le pouvoir étrange de la popularité, que cet amour caché, plein de tendresse et d’espérance, que la France portait au prince royal, avec lequel elle l’accompagnait dans ses voyages pacifiques en Europe, dans ses campagnes guerrières en Afrique, avec lequel enfin elle l’accueillait à son retour, s’était épandu au dehors, avait gagné l’étranger, et ce jour-là peut être se manifestait à la fois en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en Espagne, par une sympathie universelle.

On eût dit que le pauvre prince qui venait de mourir était non-seulement l’espoir de la France, mais encore le Messie du monde.

Maintenant tout était fini. Les regards qui le suivaient avec l’anxiété de l’attente étaient tous fixés sur un cercueil.

Le monde avait quelquefois porté le deuil du passé ; cette fois il portait le deuil de l’avenir.

Je laissai les promeneurs s’épuiser en conjectures. Que me faisaient les détails : la catastrophe était vraie ! Je rentrai chez moi et je retrouvai sur mon bureau cette lettre à la reine qui ne devait partir que par le courrier de l’ambassade, c’est-à-dire le lendemain 19 ; cette lettre où je lui disais qu’elle était heureuse entre les mères.

Un instant j’hésitai à jeter un malheur étranger et secondaire au milieu d’un malheur de famille, profond, suprême, irréparable ; mais je connaissais la reine : une bonne œuvre à lui proposer était une consolation à lui offrir. Seulement, au lieu de lui adresser la lettre à elle, j’adressai la lettre à monseigneur le duc d’Aumale.

Ce que je lui écrivis, je n’en sais rien ; ce sont de ces pages dont on ne garde pas de copie, de ces pages dans lesquelles le cœur déborde et que les yeux trempent de larmes.