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C’est qu’après le prince royal, monseigneur le duc d’Aumale était celui des quatre princes que je connaissais le plus. Je lui avais été présenté aux courses de Chantilly par le prince royal lui-même.

Le prince royal avait une profonde tendresse et une haute estime pour le duc d’Aumale. C’était sous lui que le jeune colonel avait fait son apprentissage de guerre ; et quand il avait, au col de Mouzaïa, reçu le baptême de feu, c’était le prince royal qui lui avait servi de parrain.

Un jour, dans une de ces longues causeries où nous parlions de toutes choses, et où, las d’être prince, il redevenait homme avec moi, le duc d’Orléans m’avait raconté une de ces anecdotes de cœur auxquelles la narration écrite ôte tout son charme ; puis le prince racontait admirablement bien ; il avait l’éloquence de la conversation, si cela se peut dire, au plus haut degré. Enfin, il savait s’interrompre pour écouter, chose si rare chez tous les hommes qu’elle devient merveilleuse chez un prince.

Il y avait dans la voix du duc d’Orléans, dans son sourire, dans son regard, un charme magnétique qui fascinait. Je n’ai jamais retrouvé chez personne, même chez la femme la plus séduisante, rien qui se rapprochât de ce regard, de ce sourire et de cette voix.

Dans quelque disposition d’esprit qu’on eût abordé le prince, il était impossible de le quitter sans être entièrement subjugué par lui. Était-ce son esprit, était-ce son cœur qui vous séduisait. C’était son cœur et son esprit, car son esprit presque toujours était dans son cœur. Dieu sait que je n’ai pas dit un mot de tout cela pendant qu’il vivait. Seulement, j’avais une douleur, j’allais à lui ; j’avais une joie, j’allais à lui, et joie et douleur il en prenait la moitié. Une partie de mon cœur est enfermée dans le cercueil sur lequel j’écris ces lignes.

Or, voilà ce qu’il me racontait un jour.

C’était sur les bords de la Chiffa, la veille du jour fixé pour le passage du col de Mouzaïa. Il y avait un engagement acharné entre nous et les Arabes. Le prince royal avait successivement envoyé plusieurs aides de camp porter des ordres ; un