Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/60

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ger. Tout au contraire de la France qui, en mère prodigue, fait bon marché du génie de ses enfans, déprécie tout ce qu’elle a, exalte tout ce qui lui manque, l’Italie est une arche sainte gardée par une armée d’antiquaires, de savans et de sonnétistes ; et quiconque touche à l’un de ses milles tabernacles est à l’instant même frappé de mort.

Un florentin serait venu à Paris, et aurait médit de la Seine, qu’il eût trouvé à l’instant même cent Parisiens pour la calomnier ; il n’en est pas ainsi à Florence. J’ai dit que l’Arno manquait d’eau, et Florence n’a pas été tranquille qu’on ne m’eût prouvé qu'il en regorgeait ; il est vrai qu’on me l’a un peu prouvé à la manière dont le bailli prouve à Cadet-Roussel qu’il est un poisson. Mais qu’importe ! comme Cadet-Roussel, j’ai fini par dire que j’étais dans mon tort : et je crois qu’aujourd’hui la capitale de la Toscane m’a à peu près pardonné l’erreur dans laquelle j’étais tombé.

Au reste, j’avais été entraîné dans cette hérésie par un précédent authentique. Un de mes amis était passé en Toscane vers l’hiver de 1832. L’hiver de 1832 avait été fort pluvieux, comme chacun sait, et l’Arno s’en était ressenti. Mon ami avait eu sur la route de Livourne à Florence une foule de difficultés avec les vetturini, ce qui lui avait fait singulièrement regretter la facile locomotion du bateau à vapeur. En arrivant à l’hôtel de madame Humbert, il vit de ses fenêtres l’Arno qui coulait à plein bord ; il appela le domestique de place.

— Peste ! vous avez là un beau fleuve, mon ami, lui dit-il ; où va-t-il comme cela ?

— Excellence, il va à Pise.

— Et de Pise ?

— À la mer.

— Et il est toujours aussi abondant ?

— Toujours, excellence.

— Été comme hiver ?

— Été comme hiver.

— Mais alors, pourquoi ne va-t-on pas à Pise en bateau à vapeur ?

— Parce qu’il n’y en a pas, excellence.

— Pourquoi n’y en a-t-il pas ? demanda mon ami.