Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/74

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Alfieri habitait cette maison avec une femme dont le souvenir est encore aussi vivant à Florence que si elle ne fût pas morte depuis dix ans : c’était la comtesse d’Albany, veuve de Charles-Édouard, le dernier des princes anglais déchus du trône. Le poëte l’avait rencontrée à son précédent voyage dans la capitale de la Toscane ; il avait alors vingt-huit ans : il raconte lui-même le commencement de cet amour, qui ne devait finir qu’avec sa vie.

« Pendant l’été de 1777, que j’avais tout entier passé à Florence, comme je l’ai dit, j’y avais souvent rencontré sans la chercher une belle et très-aimable dame Étrangère de haute distinction, il n’était guère possible de ne la point voir et de ne la point remarquer ; plus impossible encore, une fois vue et remarquée, de ne pas lui trouver un charme infini. La plupart des seigneurs du pays et tous les étrangers qui avaient quelque naissance étaient reçus chez elle ; mais, plongé dans mes études et dans une mélancolie sauvage et fantasque, et d’autant plus attentif à éviter toujours entre les femmes celles qui me paraissaient les plus aimables et les plus belles, je ne voulus pas à mon premier voyage me laisser présenter dans sa maison. Néanmoins il m’était arrivé très-souvent de la rencontrer dans les théâtres et à la promenade ; il m’en était resté dans les yeux et en même temps dans le cœur une première impression très-agréable. Des yeux très noirs et pleins d’une douce flamme, joints, chose rare, à une peau blanche et à des cheveux blonds, donnaient à sa beauté un éclat dont il était difficile de ne pas être frappé, et auquel on échappait malaisément. Elle avait vingt-cinq ans, un goût très-vif pour les lettres et les beaux-arts, un caractère d’ange ; et malgré toute sa fortune, des circonstances pénibles et désagréables ne lui permettaient d’être ni aussi heureuse ni aussi contente qu’elle l’eût mérité ! il y avait là trop de doux écueils pour que j’osasse les affronter.

Mais dans le cours de cette automne, pressé à plusieurs reprises par un de mes amis de me laisser présenter à elle,