Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/78

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pieds. Après de longues contestations, le malade consentit à se les laisser mettre ; mais à peine commencèrent-ils d’agir, que, craignant qu’ils ne produisissent quelques plaies, et que ces plaies ne l’empêchassent de marcher, Alfieri s’en débarrassa sans rien dire et les repoussa dans un coin de son lit. Si peu qu’ils eussent opéré, cependant, leur application avait été favorable ; et vers le soir, le malade se trouvant mieux se leva, quelque observation qu’on tentât de lui faire, prétendant qu’il ne pouvait supporter le lit.

Dans la matinée du 8, comme l’état du malade présentait des symptômes de plus en plus inquiétans, le médecin ordinaire d’Alfieri fit appeler un de ses confrères. Ce dernier approuva le traitement suivi, blâma l’enlèvement prématuré des sinapismes, que trahit le peu de traces qu’ils avaient laissé, et ordonna des vésicatoires aux jambes. Mais si Alfieri s’était révolté contre le premier remède, ce fut bien pis contre le second. Il déclara que rien au monde ne le déterminerait à l’employer, et invita ses deux médecins à ne s’occuper de rien autre chose que de calmer ses douleurs d’entrailles ; ils lui préparèrent alors une potion dans laquelle entrait une assez forte dose d’opium.

Cette potion le calma d’abord ; mais le malade ayant persisté dans son refus de se coucher, et étant resté étendu sur une chaise longue près de la comtesse d’Albany, qui s’était établie sa gardienne, peu à peu le repos momentané qu’il devait à ce puissant narcotique dégénéra en hallucinations ; alors son visage pâle s’empourpra, ses yeux s’ouvrirent fixes et fiévreux, sa parole devint stridente et saccadée, et, dans une espèce de délire, il vit repasser devant ses yeux, vivans et comme s’ils étaient accomplis de la veille, les événemens les plus oubliés de son enfance et de sa jeunesse. Bien plus, des centaines de vers d’Hésiode, qu’il n’avait cependant lu qu’une fois, se représentèrent à sa mémoire avec une telle lucidité, qu’il en disait des tirades entières qu’il avait retenues, lui-même ne savait comment. Cet état d’exaltation dura jusqu’à six heures du matin.

À cette heure seulement, vaincue par ses prières, la comtesse d’Albany consentit à prendre quelques instans de repos. À peine fut-elle sortie de sa chambre, qu’Alfieri