Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’était déjà mis en mouvement, et qui pelotait tout seul tandis que Gaëtano accordait son instrument.

— Allons, Gaëtano, allons, presto, presto, dit le baron.

— Un instant, Votre Majesté, il faut que l’instrument soit d’accord.

— Il me croit le roi de Naples, reprit le baron ; il eût été trop fier pour entrer au service d’un particulier, mais je l’ai fait premier musicien de ma chapelle, je lui ai donné le titre de chambellan, je l’ai décoré du grand cordon de Saint-Janvier, de sorte qu’il est fort satisfait. Si vous lui parlez, ayez la bonté de l’appeler Excellence. — Eh bien, maëstro, où en sommes-nous ?

— Voilà, Votre Majesté, dit le musicien en commençant l’air de la tarentelle.

J’ai déjà dit l’effet magique de cet air sur les Siciliens, mais jamais je n’avais vu un résultat pareil à celui qu’il opéra sur les deux fous ; leurs figures se déridèrent à l’instant même, ils firent claquer leurs doigts comme des castagnettes, et ils commencèrent une danse dont le baron pressa de plus en plus la mesure ; au bout d’un quart d’heure, ils étaient en sueur tous deux, et n’en continuaient pas moins, suivant la mesure toujours plus précise, avec une justesse étonnante : enfin, l’homme tomba le premier, épuisé de fatigue ; cinq minutes après la femme se coucha à son tour ; on mit l’homme sur son lit et l’on emporta la femme dans sa chambre. Le baron Pisani répondait d’eux pour vingt-quatre heures. Quant au guitariste, on l’envoya dans le jardin faire les délices du reste de la société.

Monsieur le baron Pisani nous fit alors passer dans une grande salle, où, quand par hasard il fait mauvais, les malades se promènent : cette salle était pleine de fleurs, et les murs étaient tout couverts de fresques représentant presque toutes des sujets bouffons. C’est là surtout que le bon docteur, qui connaît à fond le genre de folie de chacun de ses pensionnaires, fait les études les plus curieuses ; il les prend par-dessous le bras, les conduit tantôt devant une fresque, tantôt devant une autre, et les explique à ses malades ou se les fait expliquer par eux : une de ces fresques représente le gentil paladin Astolfe allant chercher dans la lune la fiole