Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/11

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qui contient la raison de Roland. Je demandai alors au baron comment il avait osé placer dans une maison de fous un tableau qui fait allusion à la folie. — Ne dites pas trop de mal de cette fresque, me répondit le baron ; elle en a guéri dix-sept.

Outre les fleurs logées dans les embrasures de ses fenêtres et les fresque peintes sur ses murailles, cette salle contenait un certain nombre de tambours à tapisserie, de métiers de tisserand et de rouets à filer ; chacun de ces instruirons portait quelque ouvrage commencé par les fous. Une des premières règles de la maison est le travail ; quiconque ne connaît aucun métier, bêche la terre, tire de l’eau aux pompes ou porte du bois. Les dimanches et les jours de fête, ceux qui veulent se distraire lisent, dansent, jouent à la balle, ou se balancent sur des escarpolettes ; le baron prétendant qu’une occupation quelconque est un des plus puissans remèdes à la folie, et qu’il faut toujours que les fous travaillent ou s’amusent, fatiguent le corps ou occupent l’esprit. L’expérience au reste est pour lui : proportion gardée, il guérit un nombre d’aliénés double de ceux que guérissent les médecins qui appliquent à leurs malades le traitement ordinaire.

De la salle de travail nous passâmes au jardin : c’est un délicieux parterre, arrosé par des fontaines et abrité par de grands arbres, où tous ces pauvres malheureux se promènent presque toujours isolés les uns des autres, chacun s’abandonnant à son genre de folie, et suivant les allées, les uns bruyans, les autres silencieux. Le caractère principal de la folie est le besoin de la solitude ; presque jamais deux fous ne causent ensemble ; ou s’ils causent ensemble chacun suit son idée et répond à sa pensée, mais jamais à celle de son interlocuteur, quoiqu’il n’en soit pas ainsi avec les étrangers qui viennent les voir, et qu’au premier aspect quelques-uns paraissent pleins de sens et de raison.

Le premier que nous rencontrâmes était un jeune homme de 26 ou 28 ans, nommé Lucca. C’était avant sa folie un des avocats les plus distingués de Catane. Un jour il avait eu au spectacle une discussion avec un Napolitain, qui, au lieu de mettre dans sa poche la carte que Lucca lui avait glissé dans