Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/179

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la chambre à coucher s’ouvrant, la signora Judith parut sur le seuil.

Soit que le terme du ballet fût arrivé, soit que cette apparition stupéfiât le vieillard lui-même, à la vue de la digne femme la musique cessa. Aussitôt maître Térence retomba assis sur son établi, la pelle et les pincettes se couchèrent à côté l’une de l’autre, les tabourets et les chaises se raffermirent sur leurs quatre pieds, les ciseaux rapprochèrent leurs jambes, les épingles se renfoncèrent dans leur pelote, et les aiguilles rentrèrent dans leur étui.

Un silence de mort succéda à l’horrible brouhaha qui de puis un quart d’heure se faisait entendre.

Quant à Judith, la pauvre femme, comme on le comprend bien, était stupéfaite de colère en voyant que son mari profitait de son sommeil pour donner bal chez lui. Mais elle n’était pas femme à contenir sa rage et a rester figée en face d’un pareil outrage : elle sauta sur les pincettes afin d’étriller vigoureusement son mari ; mais, comme de son côté maître Térence était familiarisé avec son caractère, en même temps qu’elle saisissait l’arme avec laquelle elle comptait corriger le délinquant, il sautait, lui, à bas de son établi, et, saisissant le diable par sa longue queue, il se fit un rem part de son allié. Malheureusement Judith n’était pas femme à compter ses ennemis, et, comme dans certains momens il fallait qu’elle frappât n’importe sur qui, elle alla droit au vieillard qui la regardait faire de son air goguenard, et, levant sur lui la pincette, elle lui en donna de toute sa force un coup sur le front ; mais ce coup, au grand étonnement de Judith, n’eut d’autre résultat que de faire jaillir de l’endroit frappé une longue corne noire. Judith redoubla et frappa de l’autre côté, ce qui fit à l’instant même jaillir une seconde corne de la même dimension et de la même couleur. À cette double apparition, Judith commença de comprendre à qui elle avait affaire, voulut faire retraite dans sa chambre ; mais, au moment où elle allait en franchir le seuil, le vieillard porta son violon à son épaule, posa l’archet sur les cordes et commença un air de valse, mais si jovial, si entraînant, si fascinateur, que, si peu que le cœur de la pauvre Judith fût disposé à la danse, son corps,