Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/203

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taines gens ; mais quiconque a été roi porte avec lui un caractère sacré qui mériterait qu’on y regardât à deux fois avant de le traiter comme le commun des hommes. Je faisais cet honneur au roi Ferdinand de croire qu’il ne me ferait pas fusiller comme un criminel ; je me trompais : tant pis pour lui, n’en parlons plus. J’ai été à trente batailles, j’ai vu cent fois la mort en face. Nous sommes donc de trop vieilles connaissances pour ne pas être familiarisés l’un avec l’autre. C’est vous dire, messieurs, que quand vous serez prêts je le serai, et que je ne vous ferai point attendre. Quant à vous en vouloir, je ne vous en veux pas plus qu’au soldat qui, dans la mêlée, ayant reçu de son chef l’ordre de tirer sur moi, m’aurait envoyé sa balle au travers du corps. Allez, messieurs, vous comprenez que, l’arrêté du roi ne me donnant qu’une demi-heure, je n’ai pas de temps a perdre pour dire adieu à ma femme et à mes enfans. Allez, messieurs ; et il ajouta en souriant, comme au temps où il était roi : Et que Dieu vous ait dans sa sainte et digne garde.

Resté seul, Murat s’assit en face de la fenêtre qui regarde la mer, et écrivit à sa femme la lettre suivante, dont nous pouvons garantir l’authenticité, puisque nous l’avons transcrite sur la copie même de l’original qu’avait conservé le chevalier Alcala.

« Chère Caroline de mon cœur,

» L’heure fatale est arrivée, je vais mourir du dernier des supplices : dans une heure tu n’auras plus d’époux, et nos enfans n’auront plus de père ; souvenez-vous de moi et n’oubliez jamais ma mémoire.

» Je meurs innocent, et la vie m’est enlevée par un jugement injuste.

» Adieu mon Achille, adieu ma Lætitia, adieu mon Lucien, adieu ma Louise.

» Montrez-vous dignes de moi ; je vous laisse sur une terre et dans un royaume plein de mes ennemis ; montrez-vous supérieurs à l’adversité, et souvenez-vous de ne pas vous croire plus que vous n’êtes, en songeant à ce que vous avez été.

» Adieu, je vous bénis, ne maudissez jamais ma mémoire ;