Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/23

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ce qui chez les autres peuples n’est qu’un plaisir est chez eux une passion ; les deux nouveaux époux donnaient l’exemple, et chacun paraissait heureux de leur bonheur.

A minuit deux masques entrèrent vêtus de costumes de paysans siciliens, et portant entre leurs bras un mannequin vêtu d’une longue robe noire et ayant la forme d’un homme.

Ce mannequin était masqué comme eux et portait sur la poitrine le mot tristizia brodé en argent ; dans ce doux patois sicilien, qui renchérit encore en velouté sur la langue italienne, ce mot veut dire tristesse.

Les deux masques entrèrent gravement, déposèrent le mannequin sur une ottomane, et se mirent à faire autour de lui des lamentations comme on a l’habitude d’en faire près des morts qu’on va ensevelir. Dès lors l’intention était frappante : après une année de douleur s’ouvrait pour les deux familles un avenir de joie, et les masques faisaient allusion à cette douleur passée et à cet avenir en portant la tristesse en terre. Quoique peut-être on eût pu choisir quelque allégorie de meilleur goût que celle-là, les nouveaux venus n’en furent pas moins gracieusement accueillis par le maître de la maison ; et toutes danses cessant à l’instant même, on se réunit autour d’eux pour ne rien perdre du spectacle à la fois funèbre et comique dont ils étaient si inopinément venus réjouir la société.

Alors les masques, se voyant l’objet de l’attention générale, commencèrent une pantomime expressive, mêlée à la fois de plaintes et de danses. De temps en temps ils interrompaient leurs pas pour s’approcher du mannequin de la Tristesse et pour essayer de le réveiller en le secouant ; mais voyant que rien ne pouvait le tirer de sa léthargie, ils reprenaient leur danse, qui de moment en moment prenait un caractère plus sombre et plus funèbre. C’étaient des figures inconnues, des cadences lentes, des tournoiemens prolongés, le tout exécuté sur un chant triste et monotone qui commença à faire passer dans le cœur des assistans une terreur secrète qui finit par se répandre dans toute la salle et devenir générale.

Dans un moment de silence, où le chant venait de cesser et où les assistans écoutaient encore, une corde de la