Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/81

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tête et je m’aperçus que nous étions à la hauter du cap Blanc ; puis, reportant mes yeux de la terre sur la carte, je vis indiqué, comme éloigné de deux lieues à peine de ce promontoire, le petit bourg de Bauso. Ce nom éveilla aussitôt un souvenir confus dans mon esprit. Je me rappelai que dans nos bavardages du soir, pendant une de ces belles nuits étoilées que nous passions quelquefois tout entières couchés sur le pont, on avait raconté quelque histoire où se trouvait mêlé le nom de ce pays. Ne voulant pas laisser échapper cette occasion de grossir ma collection de légendes, j’appelai le capitaine. Le capitaine fit aussitôt un signe pour imposer silence à l’équipage, qui, selon son habitude, chantait en chœur ; ôta son bonnet phrygien, et s’avança vers moi avec cette expression de bonne humeur qui faisait le fond de sa physionomie.

— Votre Excellence m’a appelé ? me dit-il.

— Oui, capitaine.

— Je suis à vos ordres.

— Capitaine, ne m’avez-vous point, un jour ou une nuit, je ne sais plus quand, raconté quelque chose, comme une histoire, où il était question du village de Bauso ?

— Une histoire de bandit ?

— Oui, je crois.

— Ce n’est pas moi, Excellence ; c’est Pietro.

Et se retournant, il appela Pietro. Pietro accourut, battit un entrechat, malgré l’état déplorable où les cendres de Stromboli avaient mis ses jambes, et resta devant nous immobile et la main à son front comme un soldat qui salue, et avec une gravité pleine de comique.

— Votre Excellence m’appelle ? demanda-t-il.

Au même instant tout l’équipage, pensant qu’il s’agissait d’une représentation chorégraphique, s’approcha de nous, et je me trouvai former le point central d’un demi-cercle, qui embrassait toute la largeur du speronare. Quant à Jadin, comme il avait fini son croquis, il poussa son album dans une des onze poches de sa veste de panne, battit le briquet, alluma sa pipe, monta sur le bastingage, se retenant de chaque main à un cordage, afin, autant que possible, d’être sûr de ne point tomber à la mer, et commença à suivre des