et nous vîmes en effet sa tête apparaître de l’autre côté de la cabine.
— Nunzio, lui dis-je, vous qui savez tout, savez-vous l’histoire de Pascal Bruno ?
— Quant à ce qui est de tout savoir, dit le pilote avec le ton de gravité qui ne l’abandonnait jamais, il n’y a guère que Dieu qui, sans amour-propre, puisse se vanter d’en savoir si long, sans l’avoir appris. Mais, relativement à Pascal Bruno, je n’en sais pas grand’chose, si ce n’est qu’il est né à Calvaruso et qu’il est mort à Palerme.
— En ce cas, pilote, j’en sais encore plus que vous, dit Pietro.
— C’est possible, dit Nunzio en disparaissant graduellement derrière la cabine.
— Mais quel moyen y aurait il donc, continuai-je en insistant, de se procurer des détails exacts sur cet homme ? en connaissez-vous quelques-uns, vous, capitaine ?
— Non, ma foi ! tout ce que je sais, c’est qu’il était enchanté.
— Comment, enchanté ?
— Oui, oui ; il avait fait un pacte pour un temps avec le diable, de sorte que ni balles ni poignards ne pouvaient le tuer.
— Farceur de capitaine ! dit Jadin en crachant dans la mer.
— Comment, repris-je répondant à la chose avec le même sérieux qu’elle avait été dite, vous croyez qu’on peut faire un pacte ?
— Je n’en ai jamais fait pour mon compte, répondit le capitaine ; mais voilà Pietro qui en a fait un.
— Comment, Pietro ! vous avez vendu votre âme ?
— Oh, que non pas ! le diable en avait bonne envie, dit Pietro ; mais le fils de ma mère est aussi fin que lui. Imaginez-vous, j’avais dix-huit ans, j’étais ambitieux comme tout. Je voulais pêcher plus de poisson que n’en péchaient mes camarades ; j’ai été pêcheur avant d’être matelot : donc, j’allai trouver une vielle sorcière, une stryge de Taormine ; elle me dit que je n’avais qu’à lui donner la moitié du poisson que je prendrais, et qu’elle me préparerait tous les soirs