Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/92

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elle le vida dans une petite tasse qu’elle prit sur la cheminée, et la présenta au capitaine.

Quoique ce ne fût pas cela qu’il demandait, il la prit tout de même, y goûta d’abord du bout des lèvres, mais, sentant que c’était doux comme du miel, il l’avala d’une seule gorgée. Si peu de chose que ce fût, ça lui endormit l’estomac ; c’est unique : à peine la valeur d’un petit verre de rosolio ! Ce n’était pas tout, bientôt il sentit une bonne chaleur qui lui courait par tout le corps, il se croyait dans le paradis. Pauvre capitaine ! il regardait la jeune fille, il lui parlait sans savoir ce qu’il disait : enfin, sentant que ses yeux se fermaient, il lui prit la main et s’endormit.

— N’était-ce point la même liqueur, demandai-je, que, dans une occasion semblable, l’aubergiste Matteo donna à Gaëtano Sferra ?

— Juste la même. Il a habité ces pays-là, le vieux, et il a connu la pauvre fille, qui lui a donné sa recette ; il faut croire, au reste, que c’est une boisson enchantée, car le capitaine fit des rêves d’or : il croyait être à la pêche du corail du côté de Panthellerie, et il en péchait des branches magnifiques ; il en avait plein son bâtiment, il ne savait plus où en mettre : enfin il fallait bien se décider à aller le vendre. Il partait pour Naples, et il avait un petit vent de demoiselle qui le poussait par derrière comme avec la main. En arrivant dans le port, ses cordages étaient en soie, ses voiles en taffetas rose, et son bâtiment en bois d’acajou. Le roi et la reine, qui étaient prévenus de son arrivée, l’attendaient et lui faisaient signe de la main. Enfin, il descendait a terre, on l’amenait au palais, et là on lui faisait boire du lacryma-christi dans des verres taillés, et manger du macaroni dans des soupières d’argent ; c’était un rêve enfin : on lui achetait son corail plus cher qu’il ne voulait le vendre, et il revenait riche, richissime, et toute la nuit, il n’y a pas à dire, toute la nuit comme ça.

— Il avait pris de l’opium ? interrompis-je.

— C’est possible. Si bien que le lendemain, lorsqu’on le réveilla, il se croyait le grand Turc. Mais quand la vieille entra, il vit bien qu’il se trompait ; il se rappela qu’il était tout bonnement le capitaine Antonio Aréna, qu’il avait été