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Page:Dumas - Le Caucase, 1859.djvu/53

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15 centimes le Numéro
22 Avril 1859
No 7

LE CAUCASE
JOURNAL DE VOYAGES ET ROMANS
PARAISSANT TOUS LES JOURS

Nous commençons notre publication par le voyage d’ALEXANDRE DUMAS au Caucase.
Cette première publication de notre Journal, entièrement inédite, sera complète en trente numéros pour lesquels on s’abonne chez Jaccottet, rue Lepelletier, 31, et pour la vente, chez Delavier, rue Notre-Dame-des-Victoires, 11.

En ce moment il avait éprouvé une vive douleur au mollet : c’était le montagnard à l’agonie qui le mordait à belles dents.

Pour lui faire lâcher prise, il lui avait coupé la tête.

Voilà comment nous l’avions vu revenir son kangiar aux dents, la femme et l’enfant sur une épaule, et la tête du montagnard à la main.

Cela s’était passé bien simplement, comme vous voyez, ou plutôt Bajeniock nous avait raconté cela comme une chose toute simple.

Nous prîmes congé de notre hôtesse, emportant non-seulement le souvenir de son hospitalité, mais encore un portrait d’elle que Moynet avait fait la veille tandis qu’elle dansait la lesguinka avec Bajeniock au son du violon d’Ignacieff.

Pour aller dîner à l’aoul du prince tatar, il nous fallait passer, à moins de faire un long détour, sur les terres de Chamyll. Le lieutenant-colonel Coignard ne nous cacha point que nous avions dix chances d’être attaqués contre une de ne l’être pas. Mais c’était une galanterie qu’il nous faisait : il avait commandé cinquante hommes d’escorte et tout cet état-major de jeunes officiers qui, la veille, nous avaient donné une fête.

En sortant de Casafiourte on entre dans la plaine Koumich, magnifique désert où l’herbe, que personne ne fauche, pousse à la hauteur du poitrail des chevaux. Cette plaine, qui, à notre droite, venait se rattacher au pied des montagnes derrière lesquelles se tient Chamyll, et du haut desquelles ses vedettes nous suivaient de l’œil, s’étendait à gauche à perte de vue et sur une ligne tellement horizontale, que je crus un instant qu’elle était bordée par la mer Caspienne.

Cette plaine, où le vent seul est roi, que nul n’ensemence, que nul ne récolte, foisonne de gibier ; au loin, nous voyions bondir les chevreuils et marcher gravement les grands cerfs,